Note du 12 avril : ce billet écrit le 10 février n'est plus valide. Il est désormais quasi-démontré que Zika est bien au minimum une des causes de l'augmentation du nombre de microcéphalies, et ce virus a été lié depuis à d'autres pathologies.
Une famille de médecins qui lancent une alerte, l'OMS qui veut se rattraper après un mémorable fiasco dû à Ebola, des laboratoires pharmaceutiques en recherche de nouveaux vaccins à produire, une très vraisemblable augmentation du nombre de microcéphalies, un virus exotique et mystérieux, des organisions qui profitent de l'occasion pour demander une libéralisation de l'IVG en Amérique du Sud, et j'en passe. Tous les ingrédients sont réunis pour tomber dans un béchamel infernale, un genre de "perfect storm" Et pourtant le lien entre microcéphalie et le virus Zika est au mieux très faible. En revanche le Brésil semble faire face à une menace, bien réelle celle là, mais qui pourrait ne rien avoir à faire avec Zika.
Une famille de médecins qui lancent une alerte, l'OMS qui veut se rattraper après un mémorable fiasco dû à Ebola, des laboratoires pharmaceutiques en recherche de nouveaux vaccins à produire, une très vraisemblable augmentation du nombre de microcéphalies, un virus exotique et mystérieux, des organisions qui profitent de l'occasion pour demander une libéralisation de l'IVG en Amérique du Sud, et j'en passe. Tous les ingrédients sont réunis pour tomber dans un béchamel infernale, un genre de "perfect storm" Et pourtant le lien entre microcéphalie et le virus Zika est au mieux très faible. En revanche le Brésil semble faire face à une menace, bien réelle celle là, mais qui pourrait ne rien avoir à faire avec Zika.
Zika pire qu'Ebola, vraiment ?
Certains ont cru pouvoir annoncer que Zika serait pire qu'Ebola. C'est faire peu de cas des données épidémiologiques : Ebola tue 30 à 50% des personnes infectées, quand Zika n'induit aucun effet chez 80% des personnes atteintes, et des effets mineurs chez les 20% restants. Cependant Zika a également été associé à deux pathologies : le syndrome de Guillain Barré, dont je ne reparlerai pas ici, et des microcéphalies. Ce sont surtout les microcéphalies qui ont focalisé l'attention ; qui pourrait rester insensible face à des bébés aux têtes si petites manifestement anormales ? Et pourtant le lien n'est pas établi à ce jour ; Nature, The Lancet, et jusqu'au Bulletin de l'OMS ont beau répéter ce simple constat, rien n'y fait.
Un "commentaire" du Lancet
Les données les plus récentes sont résumées dans un commentaire du très célèbre journal médical The Lancet - on ne peut pas faire plus sérieux et plus fiable. Entre juin 2015 et janvier 2016, 4783 cas de microcéphalies ont été suspectés. À ce jour 1103 cas ont fait l'objet d'un examen clinique poussé et 387 cas ont été confirmés, soit 36,4% - les 786 autres bébés ne présentent pas de microcéphalie. Les quelques 3680 autres cas sont encore en cours d'examen. Par ailleurs Zika a été détecté dans seulement 17 bébés sur 384.
Ce chiffre est beaucoup plus important que les cas répertoriés au Brésil jusque là. Cependant il faut savoir comment est diagnostiquée une microcéphalie au Brésil : un tour de tête de moins de 32cm. Ce qui n'est pas suffisant, d'autant plus dans un pays comme le Brésil où 68% des enfants naissent avant terme, notamment en raison du très fort taux de césarienne (Lancet). Les auteurs de l'étude proposent d'autres mesures plus précises que je ne détaillerai pas ici. Mais on peut retenir qu'après n'avoir que rarement diagnostiqué les microcéphalies, l'ensemble du pays a appliqué un critère unique trop approximatif pour être fiable, ce qui a induit de façon inévitable une explosion du nombre de cas détectés.
La prudence de Nature
Dès le 28 janvier le site internet de Nature a publié un commentaire suggérant que les liens entre Zika et microcéphalie devraient d'abord être confirmés. Ils s'appuyaient essentiellement sur un rapport écrit par Jorge Lopez-Camelo et Ieda Maria Orioli, dans le cadre du groupe de recherche "Latin American Collaborative Study of Congenital Malformations" (ECLAMC). Ce rapport a été publié le 30 décembre 2015, donc avant que l'opinion publique occidentale soit alertée - il est téléchargeable à partir du commentaire de Nature. Chaque assertion, onze en tout, concernant l'augmentation du nombre de microcéphalies et les liens avec Zika est discutée. La conclusion de ce rapport est très claire : "In summary, when we ask ourselves if there is a microcephaly epidemic in Brazil, or if there is a causal relationship between maternal infection with the ZIKA and children born with microcephaly, we face problems in all epidemiological steps to clarify the Rumor." (Fin p9 du rapport). Autrement dit il n'y a aucune preuve concluante.
Cette conclusion est toujours valide aujourd'hui comme le souligne Nature dans un éditorial daté du 2 février : "A calm and cautious approach to assessing the threat is advisable, and so is avoiding unhelpful hype and hysteria, or jumping to premature conclusions (…) At this stage, we simply do not have enough epidemiological and clinical data to fully assess how much of a threat Zika poses." Il faut cependant chercher à confirmer ou invalider le lien entre microcéphalie et Zika sans tarder, et surtout s'attaquer au vecteur de Zika, qui est aussi celui de la dengue et du chikungunya : un effort massif pour éradiquer le moustique Aedes aegypti (confondu parfois avec le moustique tigre, Aedes albopictus, lui aussi disséminateur des mêmes parasites) aura de toute façon un impact important sur la santé globale des populations. Et le 9 février, Nature refait un point redisant la même chose que les jours précédant : le lien n'est pas encore établi, et l'augmentation du nombre de microcéphalie pourrait être largement dû au fait qu'on ne les diagnostiquait pas suffisamment avant, et que le critère retenu est trop vague, générant deux tiers de faux positifs (les 716 cas non confirmés, voir plus haut l'étude le commentaire du Lancet).
Les données du Dr Sandra da Silva Mattos
Dernier élément infirmant le lien entre Zika et microcéphalie : un article publié le 4 février par le Bulletin de l'OMS qui rapporte les données assemblées par l'équipe du Dr Sandra Mattos. Depuis cinq ans cette équipe a suivi environ 100.000 bébés à la recherche de défauts cardiaques congénitaux. Et pour 16.000 d'entre eux ils ont mesuré entre autre le tour de tête (trois mesures, et non une seule). Que disent les données ? Selon la mesure retenue, entre 2 et 8% des bébés ont une microcéphalie. Ce qui est un résultat ahurissant, sachant que le rapport ECLAMC donne des chiffres officiels 100 à 400 fois inférieurs au Brésil (1,98 cas pour 10.000 naissances) et en Europe (2,85 cas pour 10.000 naissances). Selon le Dr Mattos, les données de 2012 et 2013 démontrent des pics de microcéphalies au printemps et en été, et le pic le plus important serait dans le nord est du Brésil (la région la plus concernée par Zika) en 2014 et non en 2015. Cependant il y a bien une confirmation au moins partielle d'un phénomène nouveau en 2015 : les microcéphalies détectées sont plus sévères, et non associées à d'autres défauts, ce qui est pourtant en général le cas. Ceci suggère l'émergence d'un phénomène nouveau fin 2014, à nouveau sans que le lien avec Zika soit établi. Soit Zika est là depuis beaucoup plus longtemps que mi-2014, ce qui est peu probable, soit le lien est loin d'être établi.
Conclusion : les microcéphalies, plus que Zika, sont très inquiétantes
Le nombre de microcéphalies au Brésil, selon les chiffres du Dr Mattos, est très inquiétant : si ce pays a effectivement un taux de microcéphalies 100 fois supérieur à la moyenne européenne, ce n'est plus Zika l'urgence, mais la microcéphalie. Au pire, Zika pourrait être un facteur aggravant, mais il est peu probable qu'il soit le principal responsable. N'oublions pas cependant le taux élevé de césariennes pratiquées avant terme évoqué par le commentaire du Lancet, qui pourrait partiellement expliquer ce chiffre qui serait alors artefactuel. En tout état de cause peut-être serait-il plus urgent de se pencher sur ce problème de microcéphalies qui à ce jour semble spécifique au Brésil, avant d'accuser sans un minimum de preuves un virus qui jusque là n'avait jamais été considéré comme une menace.