Le Graal des chercheurs qui travaillent sur la reprogrammation depuis la découverte des cellules iPS est la totipotence. Cela consiste à pousser cette reprogrammation encore plus loin qu’avec les cellules iPS qui sont « seulement » pluripotentes. La différence entre cellules totipotentes et pluripotentes se trouve dans la capacité ou non à générer un embryon, puis un foetus, entier. Les cellules pluripotentes, telles que les cellules souches embryonnaires ou les cellules iPS, ne peuvent donner naissance qu’aux tissus embryonnaires mais pas aux tissus extraembryonnaires tels que le placenta. En revanche le zygote, issu de la fécondation, est par définition capable de générer les deux types de tissus ; c’est aussi vrai des cellules issues de la première division du zygote, au moins chez la souris. Générer in vitro des cellules totipotentes par reprogrammation pourrait permettre d’obtenir des « zygotes » à volonté, sans passer par la reproduction sexuée ; c’est en réalité l’équivalent du clonage, la seule différence étant la méthode de reprogrammation. Dans le cas du clonage la reprogrammation est assurée par l’ovule qui va recevoir un noyau adulte, alors que dans l’autre cas il faut identifier les facteurs qui pousseront encore plus loin le processus de reprogrammation, au point d’obtenir non plus une cellule pluripotente mais une cellule totipotente.
Comment définir la totipotence ?
Encore faut-il s’entendre sur la définition de la totipotence… En principe c’est assez facile à vérifier : une cellule totipotente doit générer une embryon qui une fois implanté donnera naissance à un individu fertile ; c’est en tout cas la définition donnée par exemple ici et ici. Mais une autre définition est actuellement utilisée par certains : si on trouve des cellules qui ont la signature moléculaire des cellules issues de la première division du zygote (stade 2-cellules) et qui peuvent dans certaines conditions donner naissance aussi à des tissus extraembryonnaires, alors ce sont des cellules totipotentes. C’est cette définition, moins restrictive, qui a été récemment utilisée.
Une perfomance franco-allemande
En effet il y a deux semaines l’INSERM (http://www.inserm.fr/espace-journalistes/de-la-pluripotence-a-la-totipotence ; l’annonce est étrangement datée du 29 août 2015 !) et le CNRS (http://www2.cnrs.fr/presse/communique/4159.htm : cette fois c’est daté plus normalement du 3 août) ont fait savoir qu’une équipe française de l’IGBMC à Illkirch, près de Strasbourg, associée avec une équipe allemande, avait pu obtenir des cellules totipotentes ; l’article a été publié dans le revue Nature structural and molecular biology. Pourtant point de souriceaux nés de ces cellules. Nous aurait on trompé ? Oui et non, car c’est la 2e définition qui a été retenue. En cultivant des cellules souches embryonnaires (CSE) ou des cellules iPS on obtient dans 0,5% des cas, des cellules « totipotentes », à savoir semblables au stade 2-cellules. Les chercheurs ont identifié un facteur nommé CAF-1 qui agit sur l’organisation de l’ADN et dont la perte améliore la capacité des CSE à devenir totipotentes : la proportion de ces cellules dans une culture de CSE passe de moins de 0,5% à 4-8%. Une analyse détaillée de ces cellules montre qu’elles ressemblent à s’y méprendre à celles d’un embryon au stade 2-cellules. Cependant l’expérience finale, obtenir des souriceaux, n’est pas présentée dans l’article. Au lieu de ça, les auteurs ont choisi d’utiliser le clonage, à savoir le transfert d’un noyau de ces nouvelles cellules « totipotentes » dans un ovule ; ils ont ensuite montré qu’on observait plus facilement une première division du zygote obtenu après clonage : 68% contre 28% avec des CSE. En attendant quelques jours de plus pour ce même test ils ont obtenu 25% d’embryons au stade morula ou blastula (le stade de l’implantation dans une FIV) au lieu de 5% pour les CSE. Cependant la capacité de ces cellules à générer des tissus extraembryonnaires n’a pas non plus été démontrée.
Ce qu'il faut retenir
En résumé cette équipe montre que la perte d’un gène permet dans une certaine mesure de transformer des CSE en cellules qui ressemblent à celles d’un embryon 2-cellules, avec de nombreux marqueurs de totipotence. Cependant la démonstration finale de la totipotence n’est pas faite ; de plus il faudra aussi vérifier que cela est aussi vrai si on prend des cellules iPS au lieu de CSE. Au final, le rêve, ou le cauchemar selon les points de vue, de l’obtention de cellules totipotentes à volonté et de la reprogrammation complète sans recourir au clonage, n’est pas encore d’actualité chez la souris, et encore moins chez l’homme. C'est cependant un pas important qui a été franchi et nul doute que d'autres travaux permettront d'atteindre la topipotence dans sa définition la plus stricte tôt ou tard.