jeudi 22 juillet 2010

Les chimères de l'OPECST

L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) a rendu son rapport le 7 juillet. Il y aurait beaucoup à dire sur ce texte qui prône la déréglementation de la recherche sur l'embryon sans aucune restriction ou presque.
Mais ce serait inutile car ce rapport comporte une recommandation ridicule : celle d'autoriser la création d'embryons hybrides animal-humain autrement appelés fort justement chimères ou cybrides (pour cytoplasmic hybrids). L'OPECST a une guerre de retard... À l'heure des cellules iPS et des cellules iN, ils nous refont le coup des hybrides. C'est pourtant dès janvier 2009 que la Grande-Bretagne, seul pays à avoir autoriser cette technique après un débat parlementaire houleux, a enterré les cybrides sans tambour ni trompette pour des raisons purement scientifiques, moins de six mois après avoir autorisé la chose (j'avais rapporté la chose ici). Un mois plus tard Robert Lanza, grand apôtre du clonage et des cellules souches embryonnaires en tant que patron d'ACT, publiait un article démontrant que la technique des cybrides ne marchait pas (voir ici). Finalement en octobre 2009 la dernière équipe britannique a avoir reçu l'autorisation de créer des cybrides jetait l'éponge (voir ici). 
Je mets au défi quiconque d'apporter un argument en faveur des cybrides. En attendant, cela déconsidère le reste du rapport car faire une telle proposition n'est sérieux ni éthiquement ni scientifiquement.

Pour information, voici l'échange retranscrit lors de la présentation du rapport : 
M. Claude Birraux, député, président de l'OPECST, a proposé que l'Agence de la biomédecine présente son rapport annuel de façon solennelle, devant les commissions et/ou l'Office parlementaire, celui-ci pouvant en conduire une évaluation. Il s'est interrogé sur l'autorisation de produire des cybrides.

M. Jean-Sébastien Vialatte, député, rapporteur, lui a indiqué que le procédé des cybrides avait été autorisé après un débat au Royaume-Uni. Il n'est pas très utilisé actuellement et en tout état de cause, les artéfacts produits devaient être détruits au bout de 14 jours, sous condition d'une interdiction absolue de réimplantation.
Remarque : "Il n'est pas très utilisé actuellement" : comprendre qu'il ne l'est pas du tout...

** Dans un monde parfait...

... les cellules iPS auraient été identiques aux cellules souches embryonnaires. C'est du moins ce que beaucoup de gens espéraient, moi compris. Il semble cependant de plus en plus clair que ce ne soit pas le cas. J'avais déjà rapporté (voir ici) des études moins convaincantes mais suggérant la même conclusion.
Deux articles publiés ces derniers jours démontrent en effet que les cellules iPS gardent une mémoire de leur état pré-reprogrammation. Ces études sont signées notamment par George Daley et Rudolph Jaenisch pour l'article de Nature et par Konrad Hochedlinder pour l'article de Nature Biotechnology. Ces articles démontrent que les cellules reprogrammées se souviennent de ce qu'elles étaient avant. Ainsi des cellules sanguines seront plus facilement redifférenciées en cellules sanguines qu'en cellules de la peau par exemple. Ce défaut n'existe pas lorsque la reprogrammation est faite par transfert nucléaire (du clonage pour être clair) mais apparaît lorsque la reprogrammation est faite selon la technique mise au point par Yamanaka en introduisant seulement quatre gènes dans les cellules.

Une trop bonne mémoire épigénétique
La cause de cette différence est à trouver dans la mémoire épigénétique (modification non génétiques du génome) des cellules : la reprogrammation épigénétique est incomplète dans les cellules iPS mais complète quand on a recours au clonage. Ces résultats ont été obtenus chez la souris mais seront probablement vrais aussi chez l'homme.

Faut-il jeter les cellules iPS ?
On pourrait être tenter de revenir au clonage ou à l'établissement de lignées de cellules souches embryonnaires à partir d'embryon après ces publications. Ce serait cependant aller un peu vite en besogne pour au moins trois raisons.
La première est que ce pourrait être paradoxalement un avantage : si on veut obtenir des cellules sanguines, on reprogrammera des cellules sanguines, pour de la peau des cellules de la peau, pour du muscle, des cellules musculaires etc. en profitant du fait que la redifférenciation après reprogrammation sera plus facile. Ce sera cependant un inconvénient pour des types cellulaires moins accessibles comme les neurones.
La deuxième raison est que le processus de reprogrammation est encore mal maîtrisé. Yamanaka le dit lui-même : on ne devrait pas chercher à reprogrammer avec moins de facteurs, ce qui a été la démarche pendant un temps, mais au contraire chercher ce qui manque pour obtenir une reprogrammation vraiment complète.
Enfin d'autres équipes ont démontré avec la création d'embryons tétraploïdes que les cellules iPS peuvent donner une souris adulte fertile tout comme les cellules souches embryonnaires (voir ici et ) ; les cellules iPS peuvent donc être reprogrammées et donner naissance à tous les types cellulaires.

Ce qu'il faut retenir
Ces deux articles démontrent de façon convaincantes que les cellules iPS ne sont pas aussi pluripotentes que des cellules souches embryonnaires ou des cellules souches issues d'un clonage. Reste maintenant à trouver comment perfectionner cette reprogrammation... sans qu'elle soit trop parfaite : on aurait un nouveau problème éthique si on obtenait des cellules totipotentes, à savoir des zygotes. Pour finir sur une bonne nouvelle : l'équipe de Hochedlinger a montré que cette mémoire épigénétique rémanente des cellules iPS disparaît en cultivant les cellules iPS pendant plusieurs générations. Une solution simple et peu coûteuse.

jeudi 15 juillet 2010

Reprogrammation de cellules sanguines

Trois articles sont parus dernièrement dans le même numéro de la revue Cell Stem Cell, issus de trois gros labos spécialistes des cellules souches - Jaenisch, Daley et Fukuda, le tout accompagné d'un commentaire de Yamanaka lui-même. Tous trois rapportent la reprogrammation de globules blancs en cellules iPS avec des donneurs humains adultes.
Ce n'est pas une révolution dans le domaine, mais c'est intéressant car obtenir des globules blancs ne demande qu'une simple prise de sang et établir des lignées de cellules iPS ne nécessitera que quelques millilitres de sang. On est toujours loin d'une utilisation thérapeutique mais ce sera utile pour créer des modèles cellulaires des différentes maladies du sang, en particulier les maladies de l'immunité et de l'auto-immunité.

lundi 5 juillet 2010

L’abstinence contre le sida : les faits sont têtus

    Encore des scientifiques qui appellent à relancer l’abstinence pour lutter contre le SIDA. Dans un entretien au journal Le Monde le 1er décembre 1991, Luc Montagnier déclarait notamment : « Si vous aviez chacun moins de cinq partenaires sexuels dans votre vie, l'épidémie de sida s'éteindrait... ». On sait depuis longtemps que le préservatif n’est pas la solution à tous les problèmes en Afrique (voir notamment la démonstration de Low-Beer et Stoneburner, Science 2004 recensée ici). Après Edward C Green, épidémiologiste mondialement reconnu et qui a pris la défense de Benoît XVI en 2009 (voir ici).
    Après beaucoup d’autres, le quotidien britannique The Guardian nous relate l’appel des épidémiologistes Alan Whiteside et Justin Parkhurst qui travaillent à la London School of Hygiene and Tropical Medicine. Ils rappellent qu’une personne nouvellement infectée a beaucoup plus de chance de transmettre le virus dans le mois qui suit son infection. Et ajoutent : « Une campagne de promotion de l’abstinence pourrait supprimer jusqu’à 45% des nouvelles infections – ce qui serait énorme pour des pays comme l’Afrique du Sud, le Zimbabwe ou le Swaziland ».
    Leur raisonnement repose sur des groupes religieux qui respectent une période d’abstinence sexuelle (même relative) telle que les musulmans, ou la secte apostolique Marange (drôle d'exemple ou la polygamie et les mariages forcés semblent la règle). Les pays à dominante musulmane très forte connaissent une prévalence de la séropositivité assez faible (de l’ordre de 0,2% ; elle est estimée à 0,4% en France). On pensait que c’était dû à la pratique de la circoncision. Une autre hypothèse proposée par Whiteside est basée sur le bannissement de l’alcool, de l’homosexualité et des relations sexuelles en-dehors du mariage ; il cite également l’interdiction des relations sexuelles durant la journée pendant le ramadan (mais ce dernier point me paraît moins essentiel que le reste).
    La proposition finale de Whiteside ne me paraît pas très réaliste : il propose que toute la population pratique l’abstinence ou utilise systématiquement des préservatifs pendant un mois. Cependant Derek von Wissel, directeur du programme anti-SIDA du Swaziland, a bien accueilli cette idée.

En guise de conclusion
    Les faits sont têtus et l’évidence finira par être reconnue : la meilleure solution pour lutter contre le SIDA, c’est encore de bloquer sa propagation grâce à la fidélité (trop souvent oubliée - même si elle n’était que temporaire, ce serait déjà bien !) et l’abstinence. Quant à proposer un mois d'abstinence totale à l'échelle d'un pays, mieux vaudrait commencer par des solutions plus réalistes !