Plusieurs articles dans des revues scientifiques (Stem Cells et PNAS) et des déclarations parues dans la presse anglo-saxonne suggèrent que les cellules iPS ne vaudraient finalement pas grand-chose. En effet, elles vieilliraient prématurément et perdraient leur capacité à se diviser plus rapidement lorsqu'on les compare à des cellules souches embryonnaires. Les critiques portent essentiellement non pas sur la reprogrammation, mais sur les possibilités d'induire la différenciation de ces cellules en types cellulaires précis. Qu'en est-il exactement ?
Le premier article, dont James Thomson est un co-auteur (il est le découvreur des CSE humaines), est paru dans PNAS. Il démontre que pour un protocole de différenciation donné, les cellules iPS donnent des populations de neurones plus hétérogènes avec une efficacité très inférieure, et ceci est indépendant du processus utilisé pour reprogrammer les cellules. Les auteurs de l'article concluent qu'il faut améliorer la re-différenciation des cellules iPS, avec des protocoles sans doute différents de ceux qui ont été mis au point pour les CSE. La même conclusion avait été énoncée par Marc Peschanski lors de son audition par la commission de révision des lois de bioéthique début 2009. Mais il ne s'agit au final que de détails techniques et ils ne remettent pas en cause l'utilité des cellules iPS, même pour une utilisation thérapeutique future.
Les cellules iPS sont-elles "foutues" ?
Le deuxième article est plus négatif en pointant un vieillissement prématuré et une moindre expansion de ces cellules. Cependant les auteurs n'ont regardé qu'un seul type de reprogrammation (les facteurs de reprogrammation sont intégrés au génome et restent donc dans les cellules iPS), et cela pourrait expliquer le vieillissement de leurs cellules. Quant à l'expansion moins importante, on peut penser qu'il s'agit sans doute comme plus haut de détails techniques à mettre au point. Il est cependant important de souligner que le dernier auteur de l'article est Robert Lanza, le directeur scientifique d'Advanced Cell Technology, une société qui mise tout sur les CSE et qui s'est déjà trouvé à plusieurs reprises au bord du dépôt de bilan. Dans un entretien à Newsweek, Lanza déclare "this whole population of cells is screwed up" [Toutes ces cellules sont foutues ; les guillemets sont de Newsweek].
Dans le même temps, le Times publie un entretien avec Thomas Okarma qui attaque directement les cellules iPS : "iPS cells have been talked up as therapy by people with no experience of developing therapies" [Les cellules iPS ont été présentées comme des thérapies par des gens qui n'ont aucune expérience de développement de thérapie" ; cette petite phrase a été repérée par le blog de Nature, The Great Beyond]. Et les cellules iPS auraient de nombreux désavantages, notamment économiques. Au fait, qui est Thomas Okarma ? Le PDG de Geron, autre société qui a tout misé sur les CSE, et qui a fait la une des journaux avec le lancement du premier essai clinique avec des CSE ; essai arrêté depuis des mois...
Cellules iPS et dyskératose congénitale
Pendant ce temps, Nature a publié ce soir un article démontrant une fois de plus l'étonnant pouvoir des cellules iPS pour étudier des maladies humaines, cette fois-ci il s'agit de la dyskératose congénitale ou syndrome de Zinsser-Engman-Cole. Cette maladie touche la télomérase, enzyme qui assure l'intégrité des chromosomes et empêche le vieillissement cellulaire (le prix Nobel 2009 a récompensé la découverte de cette enzyme). En reprogrammant des cellules de patients, il a été montré que la fonction de la télomérase était restaurée. Ce qui tendrait à confirmer que le vieillissement prématuré des cellules iPS évoqué par Robert Lanza est bien un artefact de son étude. En dehors de l'intérêt de cette découverte pour la compréhension de la maladie et l'activité de la télomérase, cela suggère une voie thérapeutique possible pour traiter les patients.
Ce qu'il faut retenir
La presse française ne s'est pas, pour le moment, fait l'écho de toutes ces nouvelles. Il fallait cependant en parler, afin de montrer que les critiques envers les cellules iPS sont le plus souvent infondées, surtout quand elles viennent d'ardents supporteurs des CSE. Certes, le premier essai clinique avec des cellules iPS est loin, et ces cellules doivent encore faire leurs preuves. Pourtant, en seulement trois ans, que de chemin parcouru ! Cela devrait inciter à l'optimisme, et non au défaitisme prématuré d'un Lanza.
Note du 5 mars
Dans son dernier numéro Science publie un texte sur ces deux articles cités plus haut et arrive à la même conclusion, à savoir que les cellules iPS ne sont sans doute pas aussi bien reprogrammées que ça, mais qu'avec un peu de recherche, ce problème sera résolu.
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5 commentaires:
Bonjour,
tout à fait d'accord pour nous méfier des conflits d'intérêt, mais alors aussi lorsque les promoteurs des cellules du sang placentaire et de leurs "utilisations" autologues sont dirigeants de banques privées.
Vous avez raison de souligner que les conflits d'intérêt sont fréquents dans un sens comme dans l'autre. En ce qui me concerne, je ne déclare aucun conflit d'intérêt d'aucune sorte car je travaille sur un modèle non humain... Mon intérêt pour ces questions porte sur le fait que beaucoup trop d'arguments, d'un bord comme de l'autre, sont scientifiquement invalides. Dans l'idéal, nous devrions tous êtes d'accord sur l'aspect scientifique des questions, nos parti-pris éthiques pouvant être très différents. Dire que les cellules iPS sont "screwed up" est aussi illogique que de prétendre que les CSE n'apporteront jamais de solution thérapeutique ; cela ne m'empêche pas d'être malgré tout contre l'utilisation des CSE pour des raisons éthiques.
Bonjour,
Tout à fait d'accord sur votre approche et vos choix que je respecte. Moi aussi c'est pour des raisons "éthiques" que je souhaite que la recherche sur les CSE se poursuive...
L'essentiel est de reconnaitre la différence des approches éthiques (partis-pris si vous préférez) sans faire qu'une soit supérieure à l'autre
@ Cord Sandu
"L'essentiel est de reconnaitre la différence des approches éthiques (partis-pris si vous préférez) sans faire qu'une soit supérieure à l'autre"
Cette idée est très en vogue mais je n'ai jamais compris son bien-fondé. Si on prend le temps d'argumenter dans un sens pour des raisons éthiques ou philosophiques, c'est qu'on le pense supérieur aux autres. Sinon je ne vois pas l'intérêt d'en parler.
Pour prendre un exemple caricatural, le respect de la vie humaine du début à la fin me paraît infiniment supérieur à la position d'un bioéthicien anglo-saxon qui ne voit pas d'obstacle majeur à l'infanticide (ou la sélection du sexe d'un enfant : http://www.timesonline.co.uk/tol/news/uk/article1002747.ece). Je peux comprendre son argumentation, mais ne peut pas considérer ce parti-pris comme ayant la même valeur que la défense de la vie d'un enfant.
Si on veut me faire dire que ces deux points de vue ont la même valeur, je ne vais pas être d'accord...
Vous voyez, c'est dommage on était presque d'accord, et encore cette volonté d'imposer son parti-pris... C'est tout à fait étrange comme attitude. Je n'ai pas besoin de considérer mon opinon comme supérieure pour en discuter.
Et sur votre exemple, non caricatural, mais disons orienté, le débat est sur le début et la fin de la vie humaine ("fécondation à mort naturelle" vs "avortement à euthanasie").
Vous avez une opinion, moi une autre, vous voulez que votre parti-pris soit supérieur, je cherche à ce que le mien soit respecté.
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