Un article publié ce jour dans la très bonne revue scientifique Current Biology, donc a priori tout à fait sérieux, tente de démontrer que les enfants de parents croyants sont moins généreux que ceux de parents non croyants. En jeu ? Un autocollant, juste un. C'est peu pour une conclusion aussi fracassante, immédiatement traduite par l'encore plus prestigieux journal Science (ici) en : "Nonreligious children are more generous" [Les enfants non croyants sont plus généreux]. Oh les vilains croyants !
L'épaisseur d'une feuille de papier à cigarette d'un autocollant
Allons y voir de plus près. Le jeu proposé aux enfants consiste à choisir dix autocollants dans une collections de trente. Ensuite on leur explique que d'autres enfants de la même école ne pourront pas jouer et que l'enfant peut laisser quelques autocollants parmi ceux qu'il a choisi pour que d'autres puissent en avoir. Et c'est là que tout se joue : les enfants de parents non croyants (EPNC) abandonnent 4,1 autocollant en moyenne, quand les enfants de parents chrétiens (EPC) n'en laissent que 3,3 et les enfants de parents musulmans (EPM) 3,2. Les autres croyances (bouddhisme, judaïsme, etc) n'étaient pas assez représentées pour avoir un résultat significatif.
Et ensuite…, ah ben non en fait il n'y a pas de suite. C'est tout. Un autocollant (en fait, même pas un autocollant entier) de plus ou de moins suffit à proclamer que les "enfants non croyants sont plus généreux". On pourrait aussi conclure que les parents non croyants achètent plus facilement ce genre de bazar à leurs enfants que les parents croyants, et que donc les EPNC pourraient aussi bien laisser tout le paquet d'autocollants car ils en ont trente fois plus à la maison. Mais ça, ce n'est pas contrôlé. Et les auteurs de conclure très sérieusement que la religion a un effet négatif sur l'altruisme des enfants, et que l'athéisme "la sécularisation du discours moral" ("secularization of moral discourse") est donc une bonne chose.
Si on vous bouscule dans la rue, il sera de bon ton de ne rien dire
Ah si quand même, il y a une suite, tout à fait sidérante. On montre à l'enfant un autre enfant se faire bousculer. On lui demande ensuite ce qu'il en pense : est-il choqué, et quelle punition donnerait-il à celui qui bouscule. Et là, l'EPNC dit que ce n'est pas grave et qu'il ne faut pas trop punir, quand l'EPC trouve que quand même ça ne se fait pas mais ne punit pas davantage quand l'EPM est davantage choqué et partisan d'une punition plus sévère. Et quelle est la conclusion ? Que EPNC est moralement supérieur aux autres. Et oui, c'est comme ça : si je vous bouscule dans la rue, il sera de bon ton de ne rien dire. Quand je vous dit que c'était sidérant…
Et l'article de conclure dans son résumé : "Religiousness was inversely predictive of children’s altruism and positively correlated with their punitive tendencies." [La religiosité était inversement prédictive de l'altruisme des enfants et positivement corrélée avec leur tendances punitives]. Bon, ben ça c'est faux et les "reviewers" de l'article n'auraient pas dû laisser passer une erreur aussi grossière. En effet il ont démontré cela pour les EPM mais pas pour les EPC. Sans compter que personnellement je souhaite vivement qu'un enfant soit choqué quand il est témoin d'une brutalité.
Des biais oubliés, en veux-tu, en voilà !
Mais revenons aux biais potentiels de cette étude. Tiens par exemple, quid du nombre de frères et sœurs ? Il est évident que dans une famille nombreuse on a moins de moyens, donc les enfants ont moins de choses à eux. Quoi de plus naturel de garder un autocollant de plus. Et si on se demandait qui des EPNC/EPC/EPM va vivre dans une famille nombreuse ? Ah zut, encore une donnée non disponible. Notez que j'ai ma petite idée quand on sait que sur les 1170 enfants concernés, 152 viennent de Jordanie et 196 de Turquie et qu'ils sont à mon avis musulmans dans une famille d'au moins trois enfants ; alors que les 219 enfants chinois sont très probablement enfants uniques dans une famille non croyante. Et en Afrique du Sud (188 enfants), à votre avis, ils sont riches, non croyants, et enfants uniques ? Ou pauvres, chrétiens, et dans une famille nombreuse ? Une confirmation de cette intuition dans l'étude ? Les enfants de parents croyants sont moins partageurs à douze ans qu'à cinq ans ; une corrélation avec le nombre de petits frères et sœurs, peut-être ?
Autre problème potentiel : le revenu de la famille. À votre avis qui d'un couple non croyant avec un enfant ou d'un couple croyant avec trois ou quatre enfants va avoir le revenu le plus élevé ? Quel enfant va avoir déjà tellement de jouets qu'il ne désirera plus rien, surtout pas un stupide autocollant ? Il est bien dit que le niveau socio-économique révèle une corrélation avec l'"altruisme" (ie le nombre d'autocollants laissés aux autres) mais on ne sait pas dans quel sens ; et ce statut a uniquement été jugé à partir du niveau d'éducation de la mère ("As a metric for socioeconomic status, parents were asked to specify the level of education of the mother"). Encore une fois, c'est un peu court…
Bon, allez, assez rigolu, j'ai du boulot : je vais piquer les autocollants de mes enfants et les distribuer à leurs copains qui ont en moyenne cinq fois plus de jouets à leur disposition pour les punir d'être des EPC… Non mais !
Et je vous laisse avec la conclusion de l'article, non traduite pour ne pas trahir, afin que vous puissiez vous régaler de ce "chef d'œuvre impérissable du génie humain" comme disait mon grand père, athée convaincu : "Overall, our findings cast light on the cultural input of religion on prosocial behavior and contradict the common-sense and popular assumption that children from religious households are more altruistic and kind toward others. More generally, they call into question whether religion is vital for moral development, supporting the idea that the secularization of moral discourse will not reduce human kindness—in fact, it will do just the opposite." Et la marmotte…
Au passage, je ne peux pas résister à rappeler que les deux tiers des études de psychologie comme celle-ci ne peuvent pas être reproduites (source)...
Allez, soyons altruiste et laissons un autocollant aux auteurs de ce mémorable article :
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NB : j'ai un conflit d'intérêt que je dois divulguer: j'ai déjà publié dans la revue Current Biology, et j'ai aussi vu des manuscrits refusés quelques heures après leur soumission. Ça ne change rien, mais c'est dit et ça fait sérieux. Et je n'ai bénéficié d'aucune ressource financière pour écrire ce billet. Et je suis catholique, donc j'avoue que cette étude m'a interpellé. Mais elle ne rassurera que les agnostiques et les athées qui ont manifestement besoin de se rassurer si j'en juge par leur enthousiasme :-)
12 commentaires:
Bonjour,
Je suis d'accord avec cette étude, il suffit d'observer le réel! 😈
Merci pour votre commentaire. Cependant le problème n'est pas de savoir si on y croit, mais si elle est scientifiquement rigoureuse. Et j'ai de sérieux doutes...
Bah c'est une étude parmi d'autres ... http://www.lemondedesreligions.fr/actualite/les-athees-plus-genereux-que-les-croyants-30-01-2013-2934_118.php
Et l'enthousiasme des agnostiques et des athées est motivé par le fait qu'ils sont bassinés sans cesse avec des arguments comme "s'il n'y a pas de Dieu pourquoi ne pas tuer son voisin ?" ou "la moralité se fonde dans la religion" ou "les athées ne respectent rien ni personne et n'ont pas de valeurs morales" ou "les athées sont égoïstes et vénaux" etc etc etc ad libitum.
Et ce n'est rien par rapport à ce que subissent les athées aux US, d'où je vous rappelle est issue cette étude.
Et sans compter qu'on peut s'interroger sur le nombre de croyants dont la "générosité" apparente n'est motivée que par le calcul égoïste de décrocher leur place au paradis.
Donc oui, cette étude est infiniment bienvenue.
Cher Yogi,
Ce que je critique c'est d'utiliser des données bancales, quelque soit le but ultime. Je vous renvoie vers mon fil twitter où un athée convaincu juge "débile" (c'est de lui, pas de moi) de s'appuyer sur une étude scientifique mal ficelée pour se justifier. La vérité rend libre, pas la science approximative.
Cher Albert,
Il me paraît cocasse de donner des leçons de rigueur scientifique tout en assenant des incongruités comme "dans une famille nombreuse on a moins de moyens, donc les enfants ont moins de choses à eux, quoi de plus naturel de garder un autocollant de plus" alors que le partage s'apprend et que les enfants uniques ne sont pas réputés les plus partageurs.
Ou encore en affirmant "les EPNC pourraient aussi bien laisser tout le paquet d'autocollants car ils en ont trente fois plus à la maison", alors que les enfants gâtés ne sont précisément pas les plus généreux.
Ou encore en affirmant "si je vous bouscule dans la rue, il sera de bon ton de ne rien dire", alors que vous n'avez pas vu les scènes présentées, lesquelles correspondent à des "valid depictions of everyday mundane interpersonal harm that occur in schools", déjà utilisées dans les recherches précédentes de cette équipe spécialisée dans l'étude du développement des principes moraux chez les enfants.
Et quand je vois que vous voulez faire passer un mot sur Twitter du premier interlocuteur venu pour un argument d'autorité, je me dis que vous ne reculez décidément devant rien.
Bref, si vous prétendez vous élever contre "la science approximative", tentez de donner ne serait-ce qu'une apparence de sérieux à vos arguments.
Et enfin si "la vérité rend libre", on se demande bien pourquoi vous êtes croyant.
Merci pour votre long commentaire. Peut-être aurez-vous remarqué le ton volontiers un peu provocateur de mon billet ? Je le répète la science de ce papier est approximative. Mais je n'écris pas un article scientifique, ce n'est pas moi qui utilise Current Biology comme une tribune pour faire la promotion de l'athéisme à partir d'un malheureux autocollant. Je ne fais que prendre la défense des enfants utilisés par un scientifique, ce que je trouve particulièrement inélégant et lâche.
Suggestion : remplacez les autocollants par des billets de 10€ ou 10$ et voyons s'il y a encore une différence. Ou bien demandons aux enfants s'ils ont partagé avec leurs frères et sœurs. Ou bien supprimons les 30 autocollants de départ, et donnons en 10 directement, (sans possibilité de les choisir). Contrôlons le revenu des familles, le devenir final des autocollants. Bref, faisons un vrai travail avec plein de contrôles, pas juste une expérience isolée. Quant aux cours de récréation, les scènes montrées sont décrites ainsi en matériel supplémentaire : "(pushing, bumping, etc), either accidentally or purposefully". Donc "bousculer" est une traduction exacte. Libre à vous ensuite de juger que ce n'est pas grave, mais je souhaite vivement que mes enfants trouvent cela anormal et soient choqués, et repris par un professeur si c'est eux qui se conduisent ainsi.
Enfin, vous n'êtes pas sans savoir que c'est saint Jean qui rapporte cette phrase du Christ "La vérité rend libre".
Attention vos partis-pris sont en train de se transformer en parfaite mauvaise foi.
Ainsi la tirade sur les "enfants utilisés par un scientifique, ce que je trouve particulièrement inélégant et lâche" n'a strictement aucun sens concernant un laboratoire de neurobiologie spécialisé dans l'étude du développement cognitif de l'enfant.
L'accusation gratuite "une tribune pour faire la promotion de l'athéisme" n'est que votre interprétation due au fait que les conclusions de l'étude ne correspondent pas à vos préjugés. Je ne vois pour ma part qu'un compte-rendu d'expérience.
Les remises en cause du protocole "remplacez les autocollants par des billets de 10€ [...] donnons en 10 directement sans possibilité de les choisir", etc ... supposent que l'équipe ne s'est pas posé la moindre question sur la pertinence de son protocole expérimental, dans un domaine qui est pourtant au coeur de ses compétences et non des vôtres si j'en juge par vos suggestions précédentes sur la générosité des enfants uniques et gâtés.
Je vois pour ma part d'excellentes raisons à ce que donner une somme d'argent ou imposer les autocollants aurait biaisé les résultats, alors que je n'ai, tout comme vous, pas passé plus de 3 minutes à réfléchir au sujet.
Votre remarque sur "pas juste une expérience isolée" tombe à plat du fait que cette expérience, "isolée" par définition, s'inscrit dans un train de recherches récurrent sur les effets de la religion, dont j'ai cité d'autres exemples dans mon tout premier commentaire. Ne vous inquiétez pas, le temps de la méta-analyse viendra aussi.
Enfin, "bousculer" est bien une traduction exacte, mais nous ne connaissons pas l'échelle de punition proposée aux enfants et qui est là aussi, du fait de l'expertise de l'équipe, normalisée. Tous les enfants ont recommandé une sanction, et si certains ont recommandé la décapitation libre à vous de juger que ce n'est pas grave.
Quant à "la vérité rend libre", c'est bien parce que j'ai reconnu la référence biblique que j'ai réagi. Je n'ai jamais compris que quelqu'un se targuant de rigueur intellectuelle puisse, au milieu de toutes les religions existantes ou ayant existé, en qualifier une de "vérité", aussi incohérente soit-elle, du simple fait que le hasard de sa naissance l'ait placée dans son berceau.
C'est drôle, en lisant votre post, la première impression qui vient est que si les conclusions de l'article étaient vraies (ce que vous contestez), cela vous dérangerait beaucoup. D'où le ton du sarcasme employé dès le début. Mais, même si vous êtes très croyant, vous pourriez accepter les conclusions d'une telle étude et vous interroger sur ce qui, dans votre religion, amène des comportements du type de ceux qui sont décrits.
Mais il n'y a de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir.
Chers contradicteurs,
Je vous remercie de me pousser dans mes retranchements et vais m'efforcer de répondre vraiment sérieusement. Oui, comme indiqué dans la note en bas du billet, étant croyant, bien sûr que j'ai été interpellé par cette étude. Aurait-elle conclu dans l'autre sens, cela ne changerait rien à deux points :
1) le manque de contrôles et d'éléments clés. Si comme le suggère Yogi les enfants uniques sont plus égoïstes (ce que je peux concevoir) ils ont aussi souvent j'imagine plus de jeux. Donc il me semble essentiel de contrôler cette donnée en cherchant, parmi les enfants uniques, si le revenu des parents influence la décision de l'enfant. Ou bien si à revenu identique le nombre d'enfants peut jouer. Et ce quelque soit le résultat - car après tout cela aurait bien pu renforcer la démonstration des auteurs !
2) le résumé comporte une phrase qui est non soutenue par les données : "religiousness was inversely predictive of children’s altruism and positively correlated with their punitive tendencies". En réalité les auteurs ont démontré la deuxième conclusion seulement pour les enfants de parents d'une religion ; donc ils auraient pu écrire quelque chose comme "positively correlated with their punitive tendencies at least for one of the studied religious background".
Je n'aurai pas écrit mon billet si je n'avais vu aucun défaut méthodologique et si la conclusion avait été un peu moins grandiloquente quand on considère le peu de différence révélée : je vous rappelle qu'il s'agit de moins d'un autocollant en moyenne. Dans l'autre sens, je n'aurai pas davantage pris cette étude au sérieux pour clamer que la religion était absolument vitale pour le développement moral. Car vraiment, la différence reste faible. À vrai dire, je ne l'aurai sans doute même pas lu si la grande presse n'en avait pas autant fait l'écho. Je reconnais bien volontiers aux athées qu'ils peuvent faire preuve d'un grand altruisme, et la parabole du bon samaritain est là pour nous rappeler, à nous chrétiens, que les autres font souvent mieux que nous. Cela dit, vous reconnaîtrez aussi j'imagine que beaucoup de SDF vont quêter devant les églises à l'heure de la messe...
Enfin pour conclure, croyez bien que nous nous efforçons d'inculquer l'altruisme à nos enfants autant que nous pouvons. Et si cette étude doit inciter les croyants à être plus altruistes, mon Dieu, ce sera toujours ça de gagné :-) Maintenant si vous le souhaitez, on peut élaborer sur la question de savoir pourquoi je crois toujours que la religion est nécessaire au développement du sens moral. Cher Yogi, votre dernier paragraphe me rappelle mon défunt grand-père athée militant ; grâce à lui j'ai dû répondre à cet argument il y a longtemps et je l'ai fait par un choix pesé et délibéré qui m'a beaucoup aidé à mûrir. Mais on quitte là le champ de la science expérimentale et je crains que le débat ne devienne sans fin.
Voilà une observation, qui bien qu'anecdotique, est révélatrice. Nous n'avons jamais acheté de cartes Pokemon à nos enfants. Pourtant il y en a plein la maison. C'est à l'école que leurs camarades leur en ont donnés. Si je leur en offre de nouvelles aujourd'hui, vont-ils les partager ? Cela m'étonnerait fort car ils n'ont jamais eu en main que des cartes usées et de faible valeur. Cela fait-il des enfants des autres de grands altruistes et des miens des égoïstes ? Ou cela peut-il s'interpréter aussi bien par une overdose de cartes Pokemon dans un cas, et un manque ressenti de l'autre ? La seule façon de répondre à cette question serait de comparer ce qui est comparable, et donc de savoir, pour chaque enfant, s'il a déjà eu des cartes rien qu'à lui, et en quelle quantité. En l'absence de cette donnée, on ne peut rien conclure. Idem pour des autocollants...
@ Albert Barrois :
Je vous accorde que la conclusion de l'étude, même si elle est juste, est exprimée de manière un peu grandiloquente, ce que j'attribue à un effet boomerang de la prévalence forcenée dans la culture américaine de cette idée que la religion est nécessaire à fonder le sens moral. Idée selon moi absurde, si ce n'est mensongère : la religion pervertit le sens moral et le vide de toute valeur.
Comme vous exprimez la vision opposée, et que vous ne semblez pas rebuté par l'anglais, je ne peux que vous encourager à parcourir cet article rédigé par un prof de philo donnant des cours de "Moral Theory" aux US : http://aeon.co/magazine/philosophy/troy-jollimore-secular-ethics/
Quant à votre défunt grand-père, dont je salue la mémoire, si vous avez préféré à son athéisme la religion de votre mère, ce n'est certainement pas moi qui vais vous faire changer d'avis ;-)
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