L’Osservatore Romano a publié il y a quelques jours un article résumant un rapport de la Fédération internationale des associations de médecins catholiques, Pedro José Maria Simon Castellvi. Ce rapport que pour le moment fort peu de gens ont lu n’est malheureusement toujours pas publié à ma connaissance, ce qui est bien dommage. Il dénonce l’effet polluant de la pilule contraceptive, mettant en cause le relargage des hormones qu’elle contient dans la nature. Pour faire court, un cycle serait : pilule contraceptive avalée – excrétion – eaux usées puis traitées – lacs et rivières – eau buvable du robinet. D’après une dépêche de l’AFP, le rapport entend montrer ainsi que la pilule pourrait être directement responsable de la stérilité masculine par l’absorption d’hormones féminisantes.
Je vais examiner les deux principales conclusions qu’évoque la dépêche pour voir ce que l’on peut en dire.
La première conclusion est que la pilule "a depuis des années des effets dévastateurs sur l'environnement en relâchant des tonnes d'hormones dans la nature". Il est connu depuis longtemps que les poissons vivant dans des zones recevant des eaux usées mêmes traitées ont des problèmes de reproduction, et que les mâles se transforment au moins partiellement en femelles. Ce qui reste à démontrer, c’est que la pilule contraceptive est responsable de cet effet. Il y en effet quantité de molécules qui ressemblent aux hormones utilisées dans les pilules et peuvent avoir les mêmes effets, sans avoir rien à voir avec la pilule. Un exemple récent est la question soulevée par le bisphénol A, un œstrogène synthétique : cette molécule est utilisée dans de très nombreuses bouteilles en plastiques, y compris les biberons, et aurait de nombreux effets néfastes sur la santé, pouvant induire notamment une féminisation chez les amphibiens (1).
Qu’en est-il de l’effet des hormones contenues dans la pilule ? Un article de la revue de l’Académie américaine des Sciences (PNAS) de 2007 démontre l’effet dévastateur du 17-alpha ethynylestradiol (17-EE), un œstrogène synthétique utilisé dans la pilule contraceptive, sur une population de poissons dans un lac canadien (2). Ce lac expérimental, appelé lac 260, a été volontairement pollué au 17-EE par les chercheurs avec des doses (5 ng par litre) que l’on retrouve classiquement dans les eaux même loin des zones de pollution. Ils ont ensuite suivi pendant 7 années le devenir d’une espèce de poissons dont le cycle de développement est de deux ans, ce qui a permis de suivre les effets de cette molécule sur plusieurs générations. Ce poisson est le Pimephales promelas, que les auteurs considèrent comme l’équivalent du « canari des mineurs » et qui est souvent utilisé dans les expériences de toxicité. Comme contrôle, la même espèce de poisson a été suivie dans deux lacs artificiels non pollués. Le résultat est sans appel : les poissons mâles du lac 260 sont féminisés et contiennent notamment des oocytes en cours de formation dans leurs testicules. Ceci a eu un effet dramatique sur la population de cette espèce de poisson : après seulement deux années de pollution volontaire, la population avait diminuée de façon dramatique, et ce poisson a quasiment disparu du lac 260 après trois ans. Les auteurs concluent que les rejets des eaux usées avec un très faible taux de 17-EE peut diminuer la capacité de reproduction des poissons.
La première conclusion est donc partiellement validée par un article publié dans une très bonne revue, et de très nombreux articles dans des revues moins prestigieuses. À ceci près que la 17-EE est l’hormone contenue dans la pilule, mais pas ce qui est métabolisé et retrouvé dans l’urine après différentes modifications (hydroxylation méthylation etc.). Rien ne démontre que les molécules issues du métabolisme de la 17-EE aient une action sur les mêmes poissons.
La deuxième conclusion évoquée par cette dépêche est la suivante : « Nous avons suffisamment de données pour affirmer qu'une cause non négligeable de l'infertilité masculine (marquée par une baisse constante du nombre de spermatozoïdes chez l'homme) en Occident est la pollution environnementale provoquée par la pilule ». Cette conclusion est beaucoup plus problématique car à ma connaissance, aucune étude sérieuse ne s’est penché sur la question. Il faut en effet supposer a) que les eaux traitées contiennent toujours des doses dangereuses d’hormones, b) que ces molécules modifiées aient un effet chez l’homme, c) que cet effet puisse être attribué directement à ces hormones modifiées et non à toutes les autres sources de pollution. Tout dépend notamment du traitement des eaux usées ; certains disent que ces traitements ne sont pas suffisants (2 et références citées dans cet article), d’autres qu’il ne reste plus que des traces. En France par exemple, cette hormone est restée indétectable dans la Seine, l’Oise et la Marne (3). Quant aux autres points évoqués, il est à l’heure actuelle impossible à ma connaissance de savoir ce qu’il en est.
Pour conclure, il y a un effet indéniable sur les poissons dans leur environnement naturel (pas seulement en laboratoire) avec des doses très faibles d’un des œstrogènes synthétiques les plus utilisés dans les pilules contraceptives. Mais on ne connaît pas l’effet des métabolites de cette molécule. Cependant bien sûr, le principe de précaution cher aux écologistes pourrait s’appliquer. En tout cas, si vous avez décidé d’acheter des biberons sans bisphénol A, pour être logique vous devriez aussi faire très attention à la qualité de l’eau que vous mettez dedans…
Mon impression : une controverse inutile car les arguments scientifiques sont encore trop faibles à l’heure actuelle pour faire un lien entre la pilule et la stérilité masculine. L’avenir dira peut-être que ce rapport était prophétique, mais dans l’état actuel des choses, le résultat est une volée de bois vert des médias et des scientifiques qu’il n’était pas indispensable de provoquer ; on en profite d’ailleurs pour mélanger allègrement le rapport d’une association de médecins, le Vatican et Benoît XVI.
Pour ce qui est des catholiques, je me demande bien ce que cela peut apporter à Humanæ vitæ…
Références :
1) Levy G, Lutz I, Krüger A, Kloas W (2004). Bisphenol A induces feminization in Xenopus laevis tadpoles. Environ Res. 94 102-11.
2) Kidd KA, Blanchfield PJ, Mills KH, Palace VP, Evans RE, Lazorchak JM, Flick RW (2007) Collapse of a fish population after exposure to a synthetic estrogen. PNAS 104 8897-901.
3) http://www.eau-seine-normandie.fr/fileadmin/mediatheque/Expert/Etudes_et_Syntheses/etude_2008/Guide_toxique/Guide_pharma.pdf
Un autre exemple :
Ueda N, Partridge C, Bolland J, Hemming J, Sherman T, Boettcher A (2005). Effects of an environmental estrogen on male gulf pipefish, Syngnathus scovelli (Evermann and Kendall), a male brooding teleost. Bull Environ Contam Toxicol. 74 1207-12.
Merci au blog de Tom Roud dont j’ai tiré la référence 3.
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