mercredi 14 janvier 2009

Les hybrides sont KO

Le Royaume-Uni est un des seuls endroits sur la planète où il est légal de créer des embryons hybrides, ou chimères, en introduisant de l'ADN humain dans des oocytes d'animaux. L'argument essentiel est qu'on peut ainsi éviter d'avoir à recourir à des oocytes humains, mais bien évidemment cette technique pose des problèmes éthiques indubitables. Trois équipes ont reçu l'autorisation de réaliser de tels hybrides de la part de la Human Fertilisation and Embryology Authority et les embryons doivent être détruits après 14 jours.

Coup de théâtre
Hier il a été révélé par l'Independent que deux de ces trois équipes se sont vues refuser leurs demandes de financement, l'une par le Medical Research Council (MRC), et l'autre par le Biotechnology and Biological Sciences Research Council (BBSRC). La troisième équipe n'a pas encore formulé sa demande.
Après une bataille interminable jusqu'au Parlement, voilà que cette technique qui était présentée comme absolument nécessaire se retrouve autorisée mais non financée.

Les politiques s'en mêlent
Cette annonce a fait scandale, et le MRC et le BBSRC sont sommés de s'expliquer le jour même, notamment via un éditorial de l'Independent qui va plus loin et suggère que ces deux organismes ont fait un choix éthique et non scientifique. Mais ceux-ci refusent, considérant que ces demandes sont passées par le système habituel de l'évaluation par les pairs (système de "peer review" qui vaut aussi bien pour les articles à publier que pour les demandes d'argent), et qu'il n'y a donc rien à justifier (voir la réponse du MRC). Et ils insistent sur le fait que seuls des critères scientifiques ont été utilisés pour rejeter ces demandes.
Aujourd'hui l'Independent nous annonce dans un nouvel article que le Parlement va lancer une enquête et interroger le MRC et le BBSRC, qui continuent à ce jour à se retrancher derrière le système du "peer review". Et ce à très juste titre ! Aucun journal scientifique et aucun organisme de financement qui se respectent ne rendent publiques les évaluations faites ; on ne sait pas par exemple qui a validé le fameux article du coréen Hwang Woo-Suk dans le journal Science qui s'est révélé un montage complet. Les politiques n'ont donc rien à voir dans cette histoire. Après tout, les parlementaires scandalisés cités par l'Independent sont sans doute très critiques sur les interventions de Bush en matière scientifique, notamment sur son veto contre les cellules souches embryonnaires humaines. Leur travail est en amont, pour la validation ou l'interdiction de techniques, mais ils n'ont rien à faire dans l'évaluation d'une demande de financement.

La reprogrammation rend les embryons hybrides inutiles
La question reste cependant entière : pourquoi ces deux équipes ont-elles vues leurs demandes de financement refusées ? La réponse est simple : entre temps la reprogrammation en cellules iPS a rendu cette solution des embryons hybrides obsolète. Inutile en effet de faire cela si on peut obtenir le même résultat avec n'importe quelle cellule humaine en la reprogrammant. Et ce n'est pas seulement moi qui le dit, mais le Guardian qui titrait hier : "Rival stem cell technique takes the heat out of hybrid embryo debate". Contrairement à l'Independent dont l'indignation paraît bien naïve (ou purement idéologique), le Guardian conclut immédiatement que c'est la reprogrammation qui a rendu les embryons hybrides inutiles. Voici le paragraphe : "Since the furore broke, however, scientists have developed a cheap and powerful new technique in which adult skin cells are reprogrammed to create cells that are almost identical to stem cells. Researchers have already used the technique to make so-called induced pluripotent stem (iPS) cells for patients with diabetes, muscular dystrophy and Down's syndrome. The work was named scientific breakthrough of the year by the prestigious US journal Science last year."

La décision est donc purement scientifique, basée sur le fait qu'il existe une technique plus efficace. C'est important, car l'année dernière le même le MRC se faisait l'avocat des embryons hybrides. Un an plus tard, sur les seuls critères scientifiques, le MRC préfère la reprogrammation... On aimerait bien sûr que des organismes comme le MRC comprennent les objections éthiques à certaines recherches, mais dans ce cas précis, on doit se féliciter du résultat. Soit dit en passant cela démontre que les scientifiques ne cherchent pas à tout prix à transgresser ; ils utilisent simplement la technique la plus prometteuse à un moment donné.

Note à l'usage du lecteur peu familier avec les journaux britanniques : l'Independent correspond plus ou moins au Monde, et le Guardian à Libération.

Ajout du 15/01
Le Guardian notait de plus que les fonds dont dispose le MRC pour toute la recherche sur les cellules souches a augmenté, passant de 23,6 millions de livres en 2006/2007 à 25,5 millions l'année dernière. Dans le même temps, la proportion de cette somme consacrée aux cellules souches adultes, y compris les cellules reprogrammées (cellules iPS), a bondi de 46% à 61,3%. Ce qui signifie que le pourcentage consacré aux hybrides et aux cellules souches embryonnaires a chuté en conséquence.

Hier, un blog de Nature signalait que l'Independent avait mal interprété les propos de Stephen Minger, l'un des deux chefs d'équipe ayant déposé une demande de financement pour travailler sur les embryons hybrides. L'Independent lui faisait dire que sa demande pourrait avoir été refusée pour des raisons éthiques. Ce qu'il nie "I was not saying that religious or moral opposition to the proposal led to its rejection". Les commentaires accompagnant le refus du MRC contenaient une critique sévère de sa proposition de recherche ("the comments he received from the Medical Research Council regarding its decision on his application were very critical of his proposed science plan") et le MRC ne lui a même pas suggéré de redéposer une demande améliorée, ce qui correspondrait à un classement sur liste complémentaire.

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