La Fondation Jérôme Lejeune a décidé de publier un communiqué de presse suite à deux billets publiés ces derniers jours l'un dans Le Monde, et l'autre dans Libération. Ces billets ont en commun une attaque virulente contre Jérôme Lejeune et la Fondation du même nom ; Lejeune n'aurait pas découvert la trisomie 21 mais aurait volé ce résultat à une jeune et talentueuse biologiste, Marthe Gautier. Celle-ci, toujours vivante, a raconté à plusieurs reprises sa version des événements, notamment, et à ma connaissance pour la première fois, dans Médecine/Sciences en 2009. Lejeune, mort en 1994, n'était hélas plus là pour répondre. La polémique a ressurgi à l'occasion des 7e Assises de Génétique Humaine et Médicale qui viennent de se tenir et aux cours desquelles Marthe Gautier devait donner un séminaire sur la découverte de la trisomie 21. Vous lirez par vous-mêmes la suite des événements grâce aux trois premiers liens de ce billet. Ne connaissant aucun des protagonistes, je ne prétends pas savoir quoique ce soit sur le fond de ce sujet (et encore moins sur le retrait de Marthe Gautier peu avant son séminaire). Il faut cependant noter que d'autres ont également revendiqué la paternité de cette découverte et que plusieurs équipes étaient "sur le coup", notamment celle de Patricia Jacobs aux États-Unis qui ne fut battue par Lejeune, Gautier et Turpin que d'un cheveu.
Ce dont je veux parler, c'est de la teneur des billets du Monde et de Libération que je trouve choquants car presque entièrement à charge. Par exemple ce serait par pure misogynie que Marthe Gautier aurait été écartée de la première place de l'article, et des récompenses qui suivirent, l'accusation de machisme étant même directement portée contre une femme, Marie-Odile Réthoré, ce qui m'a laissé passablement perplexe (alors que Marthe Gautier le dit elle-même, elle avait bien un statut de "technicienne" lorsqu'elle a effectué les marquages). De plus la Fondation est coupable d'être réactionnaire, contre l'IVG, la "théorie du genre" etc, ce qui n'apporte rien sur la question de savoir si Marthe Gautier a reçu ou non sa juste part des récompenses mais ne peut pas laisser le lecteur de Libération indifférent. Turpin et Lejeune étant morts je vois mal comment établir les faits de façon dépassionnée. Il semble ne faire aucun doute que l'apport de Marthe Gautier fut déterminant, car elle seule maîtrisait la technique ; il est également très clair que Turpin et Lejeune s'intéressaient et ont continué à s'intéresser à l'origine génétique des maladies, et que les compétences réunies ont permis de franchir un pas décisif.
Il faut cependant savoir que toute grande découverte apporte son lot de controverses. Prenons l'exemple du prix Nobel de physiologie médecine remis à Jules Hoffmann en 2011. À part dans les milieux scientifiques, peu de gens savent que Bruno Lemaître, chercheur chez Hoffmann et premier signataire du papier qui conduira Hoffmann au prix Nobel a présenté sa version des faits et affirme qu'Hoffmann n'était à l'époque que peu intéressé par ses travaux et que le mérite de la découverte devrait lui revenir. Encore une fois loin de moi l'idée de trancher, mais ce témoignage de Lemaître n'a pas eu le retentissement qu'a aujourd'hui celui de Marthe Gautier. Peut-être n'ai-je pas assez cherché, mais je n'ai trouvé aucun article en français à ce sujet (ce que je serai heureux de modifier si un lecteur m'en indique un), alors que ce témoignage a été répercuté à l'étranger. Autre exemple : le Nobel de Montagnier et Barré-Sinoussi en 2008 pour la découverte du VIH dont Jean-Claude Chermann a été écarté pour des raisons présentées de façon très claire dans différents media (comme ici par exemple ; JCC a lui-même écrit un livre sur ce sujet : "Tout le monde doit connaître cette histoire”, éditions Stock, octobre 2009).
Que conclure de ces trois histoires parallèles ? D'abord une évidence, à savoir que les recherches se font en équipe et qu'il est rare de pouvoir récompenser tout le monde ; en général les patrons reçoivent les prix et les expérimentateurs restent dans l'ombre. Cependant ceux qui reçoivent les honneurs ne doivent évidemment pas oublier leurs équipes. Mais je retiens surtout que le traitement réservé à ces trois "affaires" est bien différent, et que le cas de Jérôme Lejeune fait l'objet d'une attention particulière et fort peu objective. Je veux ici témoigner des bienfaits de la Fondation Jérôme Lejeune, que ce soit en direction des porteurs de trisomie 21 par les consultations spécialisées, ou grâce aux financements distribués aux laboratoires pour faire des recherches que personne d'autre ne finance. Je pensais naïvement que l'héritage de Lejeune méritait un peu plus d'objectivité, ou au minimum la prise en compte et le rappel des éléments "à décharge". Je me trompais...
Ce billet a été écrit en écoutant le concerto pour violon en ré majeur de Tchaikovsky.
NB : ce texte ne fait l'objet d'aucun conflit d'intérêt. Je n'ai jamais reçu de financement de la Fondation Lejeune (et pour cause, je ne travaille pas sur des maladies de l'intelligence) ni n'ai eu l'occasion de profiter des consultations spécialisées, et ce billet n'est commandité par personne. Je pense que cela va sans le dire, mais encore mieux en le disant :-)
vendredi 7 février 2014
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