lundi 22 décembre 2014

Un "embryon" obtenu par parthénogenèse est-il humain ?


Suite à la décision récente de la CJUE et à de nombreuses réactions pas toujours éclairées, voici ma contribution au débat

La parthénogenèse, du grec « naissance virginale », est un processus de reproduction asexuée par lequel un ovule donne un individu entier, sans fécondation par un spermatozoïde. Elle existe chez différentes espèces d’invertébrés, notamment chez des vers ronds, les pucerons, chez des plantes, et très rarement chez certains vertébrés. Mais elle n’a jamais permis d’obtenir un individu vivant chez les mammifères (Kharche and Birade, Advances in Bioscience and Biotechnology, 4, 170) contrairement à ce que laisse entendre de façon un peu confuse l’article anglais de Wikipedia : l’obtention de souris par parthénogenèse n’a été possible qu’après des modifications génétiques en deux endroits du génome. 

L’impossibilité d’obtenir des individus viables par parthénogenèse chez les mammifères s’explique essentiellement par la reprogrammation épigénétique qui s’opère pendant la préparation des cellules sexuelles et après la fécondation, reprogrammation qui est incomplète dans la parthénogenèse provoquée de façon artificielle chez les mammifères, par des mécanismes chimiques, mécaniques ou électriques. De plus les cellules obtenues peuvent n’être qu’haploïdes (une seule copie de chaque gène) ou diploïdes mais elles représentent alors un clone exact de l’ovule. En résumé, dans tous les cas la cellule activée artificiellement est très différente d’un zygote obtenu par fécondation, que celle-ci soit naturelle, réalisée in vitro, ou par « clonage thérapeutique » (transfert d’un noyau somatique dans un ovule).

Ces explication techniques sont nécessaires pour tenter de répondre à la question posée à la Cour de Justice de l’Union européenne, qui était de savoir si on pourrait breveter des produits issus de cette technique. La CJUE a déjà statué de façon définitive qu’on ne pourrait breveter ni des cellules ni des tissus ni rien ce qui serait dérivé d’un embryon humain. Toute la question est de savoir si la parthénogenèse produit un « embryon humain » ou pas. Il y a déjà eu de nombreuses réactions en tous sens, mais fort peu permettant de répondre à cette question. 

Cellule pluripotente ou totipotente ?
En effet l’impossibilité d’obtenir un individu ou un fœtus, ou même un « embryon » capable de se développer au delà de quelques jours, démontre que la question n’est pas si facile à trancher. On pourrait la rapprocher de la reprogrammation artificielle réalisée pour obtenir des cellules souches iPS (« induced pluripotent stem cells ») qui ne permettent pas d’obtenir un zygote, qui est une cellule totipotente, mais seulement des cellules pluripotentes. Un autre rapprochement peut être fait : les deux techniques permettent d’obtenir des individus viables lors du test dit de « complémentation d’embryon tétraploïde », preuve que ce sont des cellules pluripotentes mais non totipotentes ; elles sont notamment incapables de donner naissance aux tissus extra-embryonnaires comme le placenta. La parthénogenèse est donc une technique permettant d’obtenir de façon artificielle une cellule capable de mimer le développement embryonnaire, mais il est permis de se demander si cette cellule est un zygote au sens propre du mot, et si ce zygote donne un véritable embryon. En ce qui me concerne, je ne peux à ce jour proposer une réponse définitive mais penche pour la négative : je ne pense pas que la parthénogenèse donne naissance à un embryon humain.

Limitations techniques à l'utilisation de la parthénogenèse chez l'homme
Quoiqu’il en soit cette méthode d’obtention de cellules souches pluripotentes humaines me laisse perplexe ; par définition on ne pourra avoir que des cellules femelles (ou féminines chez l’homme), le chromosome Y étant par définition exclu d’un ovule. De plus, il est déjà difficile d’avoir des ovules pour les FIV, et encore plus de trouver des femmes acceptant de mettre leur santé en péril pour la recherche permettant de faire du clonage « thérapeutique ». Alors si vous expliquez qu’avec ces ovules, vous allez fabriquer des cellules pluripotentes de façon totalement artificielle, cela parait franchement déraisonnable. À ce compte là autant fabriquer des cellules iPS qui elles au moins seront obtenues très facilement et de façon totalement indolore et sans danger ; et qui pourront comporter un chromosome Y si les cellules adultes sont prélevées chez un homme. 

En conclusion, même si je pense que la parthénogenèse ne donne pas naissance à un embryon humain au sens propre, l’exploitation de cette technique aujourd’hui me paraît totalement hors de propos…