mercredi 29 juillet 2009

Biologie synthétique et évolution en laboratoire

Modifier le génome d'un organisme, ne serait-ce qu'une simple bactérie, demande encore aujourd'hui une somme de travail impressionnante. Pour mémoire, la société DuPont a passé près de sept ans et dépensé des millions de dollars pour identifier vingt mutations permettant d'obtenir des bactéries optimisées pour produire un solvant, le 1,3-propanediol (source).
D'autre part la simple reconstitution du génome d'une bactérie à l'identique par l'équipe de Craig Venter (Gibson et al, Science, 2008), saluée par tous comme un exploit de la récente discipline qu'est la biologie synthétique, a nécessité des années de travail pour de nombreuses personnes.
Cependant, une étape vient d'être franchie. La revue Nature a publié le 26 juillet une méthode simple et efficace pour "améliorer" le génome d'une bactérie en imitant le couple mutation aléatoire / sélection naturelle de la théorie darwinienne. Cet article est le fruit du travail de l'équipe de George Church de l'université de Harvard, avec notamment Harris Wang et Farren Isaacs. Ils ont commencé par introduire trois gènes dans le génome d'une bactérie Escherichia coli pour lui donner la capacité à fabriquer du lycopène, un antioxydant et un agent anticancéreux potentiel. Puis ils ont sélectionné 24 gènes sur les 4500 que compte cette bactérie, ces gènes étant susceptibles d'être impliquées dans le processus de fabrication de ce produit. Ils ont ensuite introduit dans ces bactéries de petites séquences d'ADN portant chacune une mutation, générant près de quinze milliards de modifications en l'espace de seulement trois jours. Ils ont ainsi pu obtenir une bactérie produisant cinq fois plus de lycopène que la bactérie de départ. Le séquençage des bactéries améliorées a finalement permis d'identifier les mutations contribuant à l'amélioration du rendement.

Évolution dans un tube à essai : un effet positif peut être obtenu par sélection a posteriori de mutations introduites de façon aléatoires
Sur six souches séquencées, cinq sont porteuses de plus d'une mutation dont au moins une touche toujours le même gène, alors que les autres mutations ainsi sélectionnées concernent des gènes différents selon les souches. Ceci est très instructif en terme de processus évolutif à l'œuvre. Près de 15 milliards de mutations ont été introduites plus ou moins simultanément - il a pu y avoir plus de mille mutations simultanées dans un génome donné, et non pas séquentiellement comme on le fait d'habitude. Si seules une poignée ont été des mutations induisant un effet positif, elles ont pu être sélectionnées extrêmement rapidement.
Ceci est à rapprocher de l'expérience Ex una plures où des bactéries ont acquis une nouvelle fonction, mais cette fois sans aucune accélération artificielle de leur évolution. Dans les deux cas, une fonction biochimique a été acquise ou améliorée en suivant un processus essentiellement darwinien (mutations au hasard et sélection), même si on peut encore trouver à redire sur l'aspect strictement stochastique de l'expérience présentée ci-dessus.

vendredi 24 juillet 2009

Les cellules iPS peuvent générer des souris

J'ai eu l'occasion de le dire déjà plusieurs fois, la vraie preuve qu'on aura complètement reprogrammé une cellule différenciée en cellule zygotique sera l'obtention d'un adulte vivant à partir d'une cellule prise chez un autre adulte. Ce n'est pas encore fait, mais on s'en rapproche. Des chercheurs chinois ont utilisé une astuce technique permettant de démontrer que des cellules reprogrammées, dites iPS (pour "induced pluripotent stem cell") peuvent à elles seules générer un individu adulte capable de se reproduire. L'article a été publié dans Nature et commenté par Nature et Science, ainsi que par de nombreux journaux dans le monde (sauf en France où je n'ai trouvé qu'une malheureuse dépêche AFP).
L'astuce technique consiste à faire fusionner les cellules d'un embryon de quelques jours de façon à obtenir des cellules tétraploïdes. Ces cellules ne peuvent plus donner naissance à un individu, mais seulement aux tissus extraembryonnaires comme le placenta. On peut en revanche ajouter alors des cellules souches embryonnaires ou des cellules iPS qui vont générer les tissus embryonnaires et une souris adulte. C'est donc la preuve définitive que certaines cellules iPS sont équivalentes aux cellules souches embryonnaires. Tout dépend de la reprogrammation qui doit être complète.

Considérations éthiques
Si des cellules iPS peuvent générer un embryon, doit-on considérer qu'elles sont elles-mêmes des embryons ? La réponse est non pour plusieurs raisons.
La première est que la seule cellule isolée que l'on peut appeler embryon est la cellule issue d'une fécondation ou du clonage par transfert nucléaire. Il s'agit du zygote qui est totipotent. Les cellules iPS, pas plus que les CSE, ne peuvent pas générer les tissus extraembryonnaires, ce ne sont donc pas des zygotes.
Le deuxième vient de l'origine des cellules iPS. On ne passe à aucun moment pas un stade embryonnaire. Elles sont issues de la reprogrammation de cellules différenciées et ne nécessitent pas la destruction d'un embryon, au contraire des CSE (au bémol près qu'on sait aujourd'hui isoler une seule cellule d'un embryon au stade blastocyste sans détruire cet embryon).

Une nouvelle façon de faire du clonage
Le fait de ne pas pouvoir générer les tissus extraembryonnaires est-il suffisant ? Car après tout ils ne sont par définition pas une partie de l'embryon lui-même. Oui, car c'est la preuve que les cellules iPS ne sont "que" pluripotentes et non pas totipotentes. C'est seulement quand on les met dans le contexte d'un embryon déjà formé qu'elles peuvent générer les tissus embryonnaires. C'est donc cet acte là qui serait condamné si on tentait d'utiliser cette technique pour produire un clone humain, mais pas la reprogrammation de cellules différenciées en cellules iPS elle-même.
Ce pourrait être en revanche à l'avenir une bonne méthode pour générer des clones chez les animaux, en se passant du transfert nucléaire.

jeudi 23 juillet 2009

Des patients conscients classés comme "état végétatif"

La question de savoir si un patient est encore conscient ou dans un état végétatif est cruciale à bien des égards. On pense par exemple que l'état végétatif ne permet pas de sentir la douleur, alors qu'un patient en "état de conscience minimal" (ECM) pourra ressentir des stimuli externes et on lui donnera des traitements pour soulager la douleur ou pour stimuler la récupération d'un état de conscience normal. Au contraire, au moins dans certains cas, le diagnostic d'état végétatif permet légalement une suppression de l'alimentation et de l'hydratation entraînant la mort comme dans le cas célèbre de Terri Schiavo. Il est donc essentiel de bien faire la différence entre un patient en ECM et un autre en état végétatif.
En 2002 Joseph Giacino et ses collègues ont créé un indice qui permettait d'établir un diagnostic d'ECM. En 2004 ils mirent au point un test appelé CRS-R pour "Revised Coma Recovery Scale" qui permet de diagnostiquer de façon fiable un ECM ou un état végétatif. Une étude récente rapporte l'utilisation de ce test afin de réévaluer l'état de 44 patients considérés comme étant en état végétatif à partir de diagnostics moins précis : 18 d'entre eux ont été reclassés en ECM. De plus, sur 41 patients étant en ECM d'après ce nouveau test, 10% ont récupéré un niveau de conscience normal. Ceci peut bien sûr avoir des répercutions importantes sur la façon dont les patients sont traités lorsqu'ils sont considérés comme ECM et non pas comme étant en état végétatif.

mercredi 22 juillet 2009

Autre scoop : les pères ont un rôle à jouer dans l'éducation des enfants

C'est la soirée des évidences. Un autre article du même site internet (newscientist.com) rapporte des expériences sur des souris démontrant que les pères jouent un rôle important dans l'éducation des enfants.
Des études avaient déjà montré que lorsque le père est absent, les filles atteignent la puberté plus jeunes, deviennent sexuellement actives plus tôt et ont plus de risques de tomber enceintes pendant leur adolescence (ce qui semble de toute façon lié au 2ème point !). D'autres études suggèrent que les fils ont moins d'estime d'eux-mêmes. Toutes choses qui pourraient être expliquées par la culture plutôt que par la biologie.
Mais une étude récente chez des souris suggère un effet biologique direct. Il existe des souris dites "souris californiennes" qui pratiquent la monogamie et élèvent les petits à deux. Des chercheurs de l'université McGill de Montréal au Canada ont enlevé le mâle trois jours après la naissance des petits. Puis ils ont observé l'activité des cellules nerveuses du cortex préfrontal, une zone impliquée dans l'interaction sociale et l'expression de la personnalité, en réponse à l'hormone ocytocine qui joue un rôle important dans l'interaction sociale, le bien-être et les relations de confiance chez l'homme. Chez les souriceaux élevés en l'absence du père, la réponse à cette hormone était affaiblie, et les relations entre souriceaux moins importantes que dans le groupe contrôle.
En conclusion, en plus du rôle social du père qui est évident, il se pourrait que la biologie des enfants soit directement affectée par la présence ou l'absence du père, une démonstration de plus des relations étroites existant entre le biologique et le social, autrement dit entre la nature et la culture.
Source ici.

Scoop : les enfants de 4 ans sont plus intelligents que les singes

Par nature, un chercheur n'admet rien sans démonstration. Même s'il est évident pour tout un chacun qu'un enfant est plus intelligent qu'un singe, on continue à chercher où se trouve exactement la limite. Plusieurs expériences publiées récemment suggèrent que les singes sont focalisés sur le résultat immédiat, alors que très vite un enfant apprend à détailler les gestes permettant d'obtenir un résultat donné.
Par exemple, on a pu apprendre à des singes à récupérer du miel dans une boîte grâce à un bâton et un trou dans la boîte. On a ensuite tenté de leur apprendre à remuer le bâton jusqu'à libérer un loquet qui ouvrait complètement la boîte et donnait accès à des cacahouètes en plus du miel. Mais aucun singe n'a été capable d'adopter cette démarche pourtant plus efficace. Au contraire, des enfants de 3 ou 4 ans ont très vite appris à le faire.
Une autre expérience a consisté à poser une boîte contenant des raisins (pour les singes : 7 chimpanzés, six gorilles, 8 orangs-outans et 5 bonobos) ou des autocollants (pour 24 enfants de 4 ans) ; cette boîte avait un clou et pour l'attraper à travers des barreaux, l'enfant ou le singe ne disposait que d'une ficelle. Aucun n'a trouvé seul comment faire. On montra ensuite aux uns et aux autres qu'on pouvait faire une boucle avec la ficelle et ainsi attraper le clou et attirer la boîte. Plusieurs enfants réussirent alors à attraper la boîte, mais aucun singe.
La conclusion de ces expériences est que les singes voient le résultat final mais ne mémorisent pas les différentes étapes permettant d'y parvenir dès que la solution devient légèrement complexe.
Source ici.

Une thérapie cellulaire qui ne marche pas

La maladie de Huntington est une maladie héréditaire fatale pour laquelle il n'y a pas de traitement et qui induit une dégénérescence nerveuse. Un traitement envisagé est la transplantation de neurones normaux directement dans le cerveau des patients, au niveau du striatum qui est la région la plus touchée. Des résultats prometteurs avaient été obtenus chez les rats et des primates. Des tentatives ont donc été faites chez l'homme et la revue PNAS publie la première étude sur les résultats à long terme, dix ans après la transplantation chez l'homme. Ce travail a été réalisé par l'équipe du Professeur Freeman de l'université South Florida.
Les résultats initiaux dans les premières années après les transplantations étaient encourageants : il y avait eu une légère amélioration de l'état général et les autopsies des patients décédés avaient montré que les neurones greffés avaient survécu et s'étaient intégrés dans le cerveau. Pour l'étude à long terme, trois patients qui avaient reçu des transplants dix ans avant leur mort ont été examinés. Et la déception est là : il ne reste pas grand-chose des greffons, avec une dégénérescence parfois encore plus rapide des neurones greffés et donc sains, que pour les neurones malades des patients. Les essais cliniques avaient par ailleurs été arrêtés par Freeman en 2002 à cause des risques associés à la chirurgie elle-même pour la transplantation des neurones.
Les commentaires de la revue Nature sur cette étude incluent l'avis du neurologue Roger Albin de l'Université du Michigan. Selon lui cette publication suggère que "la greffe n'est pas une thérapie particulièrement bonne. Cela limite la probabilité qu'une autre forme de greffe puisse être efficace, même avec des cellules souches".
Après une conclusion similaire pour la maladie de Parkinson (voir ici), les espoirs de la thérapie cellulaire commencent à sembler aussi hypothétiques que ceux de la thérapie génique.

Considérations éthiques sur cette thérapie
Pour la transplantation, les neurones étaient prélevés sur des fœtus avortés, pratique condamnée par l'Église. En effet, si le prélèvement sur ce qui n'est plus qu'un cadavre est neutre, le geste implique une étroite coordination avec l'avortement lui-même, ce qui revient à coopérer per accidens à un acte intrinsèquement mauvais. En revanche, un prélèvement suite à une fausse-couche ou sur un enfant mort-né ne poserait pas ce problème.

dimanche 19 juillet 2009

La chauve-souris et le papillon

Les chauve-souris repèrent les insectes grâce à leur sonar perfectionné, c'est bien connu. Ce qui l'est moins, c'est que certains papillons de nuit ont développé un système de contre-mesure (voir la photo ci-contre, tirée de l'article de Science et montrant le système en microscopie électronique à balayage) qui interfère avec le sonar de la chauve-souris. Un article de Science vient de rapporter cette étonnante découverte concernant le papillon Bertholdia trigona et la chauve-souris Eptesicus fuscus. On connaissait les mouches qui se déguisent en guêpes et autres systèmes de camouflage, mais c'est la première fois qu'on découvre un arsenal digne des sous-marins d'un roman de Tom Clancy.









Le papillon Bertholdia trigona

mardi 14 juillet 2009

Religion et science

Des erreurs qui démontrent l'existence d'un ancêtre commun

Kenneth R. Miller est un chercheur américain catholique qui se bat contre les théories créationnistes, depuis les plus fondamentalistes jusqu'aux évolutions récentes telles que le "dessein intelligent" [Intelligent Design]. Il a un site internet dédié à ce sujet. Un de ses textes sur la compatibilité entre l'évolution et la foi catholique peut être lu ici.

Dans un exemple destiné à faire comprendre comment on peut déduire l'existence d'un ancêtre commun à partir de ce qu'on voit aujourd'hui, il propose d'examiner les devoirs rendus par deux élèves. À la lecture, ceux-ci semblent à la fois proches car ils ont utilisé des arguments similaires, et différents car les arguments et les paragraphes ne sont pas présentés dans le même ordre, les mots choisis sont différents etc. Et pourtant il y a un moyen simple et infaillible de démontrer que les deux élèves ont copié leurs devoirs, soit l'un sur l'autre, soit à partir d'une même source. En effet, après avoir passé les devoirs à la moulinette d'un programme destiné à détecter un éventuel plagiat, Miller vit que six mots étaient orthographiés avec les mêmes fautes dans les deux devoirs. Tout professeur normalement constitué en déduira immédiatement qu'il y a une source commune aux deux devoirs.
Les chercheurs utilisent les mêmes outils pour construire l'arbre du vivant ; ce sont les différences communes chez deux espèces qui permettent de conclure que ces deux espèces ont un ancêtre commun qui portait déjà ces erreurs, par opposition à d'autres espèces plus éloignées qui vont porter les mêmes mots mais avec une orthographe différente.
Pour la simplicité de la démonstration, j'ai écarté ici la possibilité d'un élève ait seulement copié sur l'autre. Source ici.

dimanche 12 juillet 2009

Les cochons vont pouvoir porter plainte

C'est un comble : la grippe dite "porcine" pourrait le devenir pour de bon, à cause d'une transmission non pas du cochon à l'homme mais l'inverse. C'est du moins ce que suggèrent les résultats d'une étude allemande qui a consisté à infecter cinq cochons avec une souche du virus circulant actuellement chez l'homme et connu sous le nom de A(H1N1). Non seulement ces cochons ont tous eu la grippe, mais trois autres vivant avec eux l'ont eu également. Heureusement cinq poulets placés dans la même enceinte n'ont pas attrapé la grippe porcine (l'histoire ne dit pas s'ils avaient la grippe aviaire ; on ne saura donc pas si les cochons peuvent l'attraper).
La morale de cette histoire est qu'il faudra s'abstenir d'aller voir des cochons si on a la grippe porcine, mais on pourra tenter d'attraper la grippe aviaire en plus en visitant un poulailler...

Francis Collins à la tête des NIH

Le 8 juillet Francis Collins a été nommé à la tête des NIH, les National Institutes of Health, le principal organisme de recherche fédéral des États-Unis, avec un budget de plusieurs dizaines de milliards de dollars. Pour savoir ce que cette nomination signifie, vous pouvez vous reporter au billet du 27 mai, mais aussi pour les anglophones au site de la fondation BioLogos qui est dédiée au dialogue entre science et foi et dont le leitmotiv est : "We believe that faith and science both lead to truth about God and creation." ["Nous croyons que la foi et la science nous conduisent toutes deux à la vérité sur Dieu et la création"]. Des portraits et des réactions à sa nomination peuvent être trouvés sur le site de Nature et de beaucoup d'autres.
On est bien en peine de savoir quel est son avis précis sur un certain nombre de sujets ; des éclaircissements sont disponibles ici. On en saura davantage prochainement. Mais sa nomination deux jours après la parution des règles des NIH en ce qui concerne la recherche sur l'embryon (j'avais parlé des propositions ici) confirme que ce document ne lui pose aucun problème.

mercredi 1 juillet 2009

A(H1N1) : un nouveau graphe indicatif et une remarque





Résolu à faire un effort, j'ai finalement trouvé un moyen de mettre du nouveau en ligne concernant la pandémie de A(H1N1). Il s'agit d'un graphe du nombre de morts par rapport au nombre de contaminations ; on constate qu'il reste remarquablement stable ces derniers temps ce qui suggère que pour le moment la virulence du virus n'a pas augmenté.

Devrait-on tout faire pour attraper cette grippe dès maintenant ?
Avec un taux de létalité assez bas pour le moment (0,43%) et un risque toujours présent d'une augmentation de la virulence du virus, on peut se poser la question de savoir s'il ne vaudrait pas mieux avoir cette grippe maintenant plutôt que plus tard...

Actualité paisible

L'actualité scientifique dans les domaines que je couvre habituellement n'est pas très chargée en ce moment. De plus les vacances approchent. Ce blog n'est donc pas très actif et cela risque d'être ainsi pendant quelques semaines...