vendredi 31 mai 2013

Cellules souches embryonnaires et cellules iPS : l’avis des spécialistes


Marc Peschanski (et co-auteurs)
« Les cellules souches embryonnaires humaines sont sujettes à des instabilités chromosomiques, ce qui pourrait limiter leur utilité clinique »
Revue Journal of Clinical Investigation, février 2012.

Shinya Yamanaka, Prix Nobel de Physiologie-Médecine 2012, découvreur des cellules iPS
« Nous prédisons un avenir radieux aux cellules iPS à l'hôpital et dans les laboratoires »  
Revue Development en mai 2013 
« Est-ce que les cellules souches embryonnaires représentent véritablement le contrôle idéal ou l'étalon-or pour les cellules iPS ? Je pense que la réponse est probablement non. Au lieu de cela, les futures études devraient se concentrer sur la capacité des cellules iPS elles-mêmes à former de nouveaux tissus ou organes (... ). Je crois que la technologie des cellules iPS est maintenant prête pour de nombreuses applications, y compris les thérapies par cellules souches. »
Revue Cell Stem Cell en juin 2012

Chris Mason, expert en médecine régénérative, thérapie cellulaire, University College London 
« Les cellules iPS ont le vent en poupe, il y a beaucoup de financement et de très nombreux chercheurs influents. »
Entretien avec la BBC, mai 2013

 James Thomson, le premier à isoler des cellules souches embryonnaires humaines en 1998.
« Quelques soient les méthodes d'analyse, [les cellules iPS] sont les mêmes que les cellules souches embryonnaires (...) Dans quelques années les cellules souches embryonnaires seront considérées comme une bizarrerie historique dans une note de bas de page. »
Chambre des Lords britannique en 2008  
« Fabriquer des cellules souches embryonnaires humaines est un cauchemar. Même s’il y a quelques centaines de lignées disponibles, cela n’augmente plus beaucoup. Mais nous avons déjà créé des tas et des tas de lignées de cellules iPS, et nous en créerons d’autres dans des proportions très importantes ».
Nature Report Stem Cells, en août 2008

Rudolph Jaenisch, spécialiste mondiale des cellules souches
« Cela démontre que les cellules iPS ont le même potentiel thérapeutique que les cellules souches embryonnaires, sans les problèmes éthiques et pratiques posés par la création de cellules souches embryonnaires. »
Chambre des Lords britannique en 2008

Martin Evans, Prix Nobel de Physiologie-Médecine 2007 pour son travail sur les cellules souches embryonnaires.
« Les cellules iPS seront la solution à long terme. »
Chambre des Lords britannique en 2008

Ça se passe comme ça avec le Vatican...

Le Los Angeles Times a publié hier un entretien avec Alan Trounson, monsieur cellules souches de la Californie, en charge du fameux programme lancé grâce à un emprunt de trois milliards de dollars. Il raconte qu'il a été invité par le Vatican pour intervenir lors d'une conférence sur les cellules souches. Il envoie le résumé de son intervention ; en le lisant les organisateurs se rendent compte que cela ne collera pas avec le programme (sans doute était-il trop question des cellules souches embryonnaires humaines) et annulent l'invitation. Quelques jours plus tard arrive un chèque du Vatican. "Mais qu'est-ce que c'est que ce bazar ?" se demande l'agent comptable. Il appelle à Rome - Réponse "C'est pour le dérangement"...

jeudi 23 mai 2013

La com' d'ACT et de Lanza sur le dos de l'annonce du clonage humain

 
Vous l’avez peut-être entendu, les cellules souches embryonnaires humaines (CSEH) auraient rendu la vision à un homme au point qu’il pourrait désormais conduire. La société ACT (Advanced Cell Technology) a annoncé ce résultat dans un communiqué de presse le 16 mai. Cette société a lancé le deuxième essai clinique utilisant des CSEH au monde ; le premier, lancé par Geron, a été abandonné. Cet essai clinique de phase I est basé sur la différenciation de CSEH en cellules de la rétine qui sont ensuite injectées dans l’œil afin de corriger des dégénérescences de la rétine associées à la maladie de Stargardt ou à la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA).

On ne peut que se réjouir pour ce patient qui serait donc la première personne au monde guérie grâce à des cellules pluripotentes de type embryonnaire. Je me réjouis moins bien sûr de l’origine de ces cellules… Mais cela permet d’espérer que d’autres méthodes permettant d’obtenir ces cellules de la rétine, à partir de cellules iPS ou par conversion directe, donneront le même résultat, sans avoir recours à des CSEH.

Bien étrange cependant cette opération de communication au lendemain de l’article sur le clonage humain paru dans Cell. C’est Robert Lanza lui-même, patron d’ACT, qui a fait cette déclaration après avoir été contacté par Reuters pour commenter l’annonce du clonage. Mais le communiqué qui a suivi le lendemain est rempli de précautions : résultat préliminaire qui ne préjuge en rien de la réussite ou non de l’essai et qui aurait dû rester confidentiel, refus de dire quelle maladie (DMLA ou Stagardt) a été soignée, résultat pour un seul patient alors que vingt deux ont été traités etc. On voit donc dans ce communiqué une correction rapide de la publicité gratuite que s’est offerte Lanza. Ce résultat est donc à prendre avec la plus grande prudence à ce stade.

Clonage humain : l'article de Cell remis en cause...



Le cauchemar continue pour les éditeurs acceptant des articles sur le clonage humain. Huit ans après l'affaire de la fabrication complète du papier de Hwang Woo-suk, l'article publié le 15 mai par Cell est remis en cause par des chercheurs faisant un travail bénévole de révision après publication. Ils publient leurs remarques ici. Certaines images sont dupliquées et annotées comme différentes ; de plus il semble que certaines données présentées comme des expériences faites plusieurs fois ne sont en fait que des répétitions avec le même matériel. Science annonce que Cell a lancé une enquête...

Travail éditorial bâclé
Cell aurait bien fait de ne pas accepter l'article en quatre jours, sans doute un record inédit impliquant une précipitation indigne d'une annonce aussi importante. En temps normal il faut au minimum trois semaines et le plus souvent il y a une révision. L'article de Yamanaka annonçant la découverte des cellules iPS dans Cell a pris trois mois pour être accepté. Or c'était une avancée conceptuelle autrement plus importante que le clonage et cela aurait bien davantage justifié une certaine précipitation. Rien de tel ici ce qui est en soi un scandale. Cet article nécessitera donc au minimum des corrections. On n'ose imaginer le pire et une rétractation pure et simple... Je n'ai qu'une explication plausible : d'autres équipes ont obtenu le même résultat et Cell n'a pas voulu être scoopé. Mais dans ce cas il sera difficile de continuer à prétendre que le clonage reproductif ne va pas devenir un sérieux problème. Dans tous les cas, Cell aura à répondre d'un travail bâclé.

Addendum du 23 au soir
Cell se paye le luxe de retweeter ça :

Ce qui est franchement limite (c'est la faute des auteurs...) quand on a accepté un article en quatre jours sans aucune révision... Nature s'y colle aussi et annonce que les auteurs de l'article se défendent en disant que l'erreur est humaine (je caricature à peine) et qu'ils étaient pressés de publier pour pouvoir en parler au prochain congrès sur les cellules souches. Mais cela ne remettrait pas en cause les résultats et il y aura une nouvelle version corrigée.

En résumé : un beau bazar dont ni les auteurs de l'article ni Cell ne peuvent être fiers... Comment peut-on sérieusement faire confiance à de tels chercheurs quand ils vous affirment faire de la recherche éthique sur les embryons ?

samedi 18 mai 2013

Le clonage : le point de vue de l'Église en 2008

 
Extrait de Dignitas Personæ concernant le clonage humain

28. Par clonage humain, on désigne la reproduction asexuée et agamique de la totalité d’un organisme humain afin de produire une ou plusieurs « copies » substantiellement identiques à l’unique progéniteur [47] du point de vue génétique.
 Le clonage est proposé avec deux objectifs fondamentaux: l’un reproductif, c’est-à-dire visant à obtenir la naissance d’un enfant cloné, et l’autre thérapeutique ou de recherche. Le clonage reproductif serait théoriquement en mesure de répondre à certains besoins spécifiques comme le contrôle de l’évolution humaine, la sélection des êtres humains avec des qualités supérieures, la présélection du sexe de l’enfant à naître, la production d’un enfant qui soit la « copie » d’un autre, la production d’un enfant pour un couple souffrant de formes d’infertilité pour lesquelles il n’existe pas d’autres solutions curatives. En revanche, le clonage thérapeutique est proposé come le moyen de produire des cellules souches embryonnaires dotées d’un patrimoine génétique prédéterminé, afin de surmonter le problème de rejet (immuno-incompatibilité) ; il est donc lié à la question de l’utilisation des cellules souches embryonnaires.
Les tentatives de clonage ont suscité une grande préoccupation dans le monde entier. Plusieurs organismes au niveau national et international ont exprimé des jugements négatifs sur le clonage humain et, dans la plupart des pays, il a été interdit.
Le clonage humain est intrinsèquement illicite dans la mesure où, en portant à l’extrême le caractère négatif du jugement éthique relatif aux techniques de fécondation artificielle, au plan éthique, il entend donner origine à un nouvel être humain sans aucun lien avec l’acte de don réciproque entre deux époux et, plus radicalement, sans aucun lien avec la sexualité. Cette situation suscite des abus et des manipulations qui portent gravement atteinte à la dignité humaine [48].

29. Si le clonage avait un but reproductif, on imposerait au sujet cloné un patrimoine génétique déjà fixé, en le soumettant de fait - comme cela a été dit - à une forme d’esclavage biologique de laquelle il pourrait difficilement s’affranchir. Le fait qu’une personne s’arroge le droit de déterminer arbitrairement les caractéristiques génétiques d’un autre, est une grave offense à sa dignité et à l’égalité fondamentale entre les hommes.
L’originalité de chaque personne dérive de la relation particulière entre Dieu et l’homme dès les premiers instants de son existence. Ceci oblige à en respecter la singularité et l’intégrité, y compris aux plans biologiques et génétiques. Chacun d’entre nous rencontre dans l’autre un être humain qui doit son existence et ses caractéristiques propres à l’amour de Dieu, dont seul l’amour entre les époux constitue une médiation conforme au dessein du Créateur et Père céleste.

30. Le soi-disant clonage thérapeutique est encore plus grave au plan éthique. Créer des embryons dans le but de les supprimer, est totalement incompatible avec la dignité humaine, même si l’intention est d’aider les malades, car cela fait de l’existence d’un être humain, même à son stade embryonnaire, rien de plus qu’un moyen à utiliser et à détruire. Il est gravement immoral de sacrifier une vie humaine dans un but thérapeutique.
Les objections éthiques soulevées par plusieurs personnes contre le clonage thérapeutique et contre l’utilisation d’embryons humains produits in vitro, ont amené des scientifiques à rechercher de nouvelles techniques, qui sont présentées comme capables de produire des cellules souches de type embryonnaire, sans que cela présuppose cependant la destruction de véritables embryons humains [49]. Ces propositions ont suscité beaucoup d’interrogations au niveau scientifique et éthique, notamment en ce qui concerne le statut ontologique du « produit » ainsi obtenu. Tant que ces doutes ne sont pas clarifiés, on doit tenir compte de ce qu’a déjà affirmé l’Encyclique Evangelium vitae: « l'enjeu est si important que, du point de vue de l'obligation morale, la seule probabilité de se trouver en face d'une personne suffirait à justifier la plus nette interdiction de toute intervention conduisant à supprimer l'embryon humain »[50].

Notes   [47] En l’état actuel des connaissances, les techniques mises en oeuvre pour réaliser le clonage humain sont au nombre de deux: la fission gémellaire et le transfert du noyau. La fission gémellaire consiste dans la séparation artificielle de cellules ou de groupes de cellules à partir d’un embryon, au cours des premières phases de son développement, et dans le transfert successif de ces cellules dans l’utérus dans le but d’obtenir, de manière artificielle, des embryons identiques. Le transfert du noyau, ou clonage proprement dit, consiste dans l’introduction d’un noyau prélevé d’une cellule embryonnaire ou somatique dans un ovocyte préalablement énucléé, suivie de l’activation de cet ovocyte qui, par conséquent, est amené à se développer comme un embryon.   [48] Cf. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Instruction Donum vitae, I, 6 : AAS 80 (1988), 84 ; La Documentation catholique 84 (1987), p. 354 ; Jean-Paul II, Discours aux Membres du Corps Diplomatique accrédité auprès du Saint-Siège (10 janvier 2005), n. 5: AAS 97 (2005), 153 ; La Documentation catholique 102 (2005), p. 113.
   [49] Les nouvelles techniques de ce genre sont, par exemple : la parthénogenèse appliquée à l’homme, le transfert  d’un noyau altéré  (Altered Nuclear Transfer : ANT) et les techniques de reprogrammation de l’ovocyte ( l’OAR -Oocyte Assisted Reprogramming).
  [50] Jean-Paul II, Encycl. Evangelium vitæ, n. 60 : AAS 87 (1995), 469 ; La Documentation catholique 92 (1995), p. 382.
Remarque
Dignitas Personæ est une instruction de la Congrégation pour la doctrine de la foi parue le 8 septembre 2008. Texte complet ici.

mercredi 15 mai 2013

**** Annonce de clonage thérapeutique chez l'homme


Il y a maintenant quelques heures, la revue Cell a tweeté l'annonce d'un "red hot paper".


Il s'agissait de l'annonce de la mise au point d'une méthode de clonage chez l'homme. Le petit monde scientifique des cellules souches est en effervescence. Huit ans après la même annonce par une équipe coréenne de triste mémoire (tout était faux et les oocytes extorqués aux étudiantes du laboratoire), une équipe américaine a finalement réussi à cloner des embryons humains en transférant un noyau de cellules provenant de fœtus ou de très jeunes enfants dans un oocyte. Les embryons obtenus ont été détruits au stade blastocyste pour obtenir des cellules souches embryonnaires humaines (CSEH). La même équipe affirme que cela ne peut pas conduire à un enfant car ils essayent depuis des années sur des singes sans succès ; ils prépareraient une publication démontrant que leur technique ne peut pas permettre un clonage reproductif. Mais d'autres s'y mettront certainement... c'est en tout cas l'avis du bioéthicien O. Carter Snead de l'université Notre Dame dans l'Indiana.

Quel intérêt ?
Cette publication marque indéniablement le franchissement d'une borne technique et éthique. Mais elle n'a rien de révolutionnaire scientifiquement par rapport aux cellules iPS : la reprogrammation par quatre facteurs découverte par Yamanaka est beaucoup plus impressionnante que celle consistant à placer un noyau adulte dans un oocyte. De plus ils n'ont pour le moment reprogrammé que des cellules relativement jeunes, puisqu'elles avaient au plus quinze mois (neuf mois de grossesse puis huit mois après la naissance). Cette méthode d'obtention de cellules souches embryonnaires semble complètement dépassée en ces temps où les cellules iPS ont largement remporté la mise avec la reprogrammation de cellules prélevées chez des personnes âgées et non seulement chez un très jeune enfant, sans parler de la conversion directe ou transdifférenciation. D'autant plus que pour avoir des cellules iPS, nul n'est besoin d'oocytes humains obtenus dans des conditions que l'on connait * : les donneuses, dont une a donné plus de quinze oocytes, ont reçu entre 3000 et 7000$ dans ce cas précis ; sans compter qu'il s'agit bien de créer des embryons dans l'unique but de les détruire pour en extraire des lignées de CSEH. Ici il a fallu sacrifier plus de 120 embryons pour obtenir six lignées (source ; je n'ai pas refait les calculs)... Les auteurs de l'article eux-mêmes considèrent comme un succès le fait de pouvoir dériver une seule lignée à partir d'un cycle de prélèvement d'oocytes ; allez dire ça aux "donneuses" pour les rassurer !
L'argument principal en faveur du clonage thérapeutique est essentiellement que le processus de reprogrammation serait plus complet et que les nouvelles lignées auraient moins de défauts. Ce n'est nullement démontré à ce jour dans l'article publié par Cell et les auteurs oublient de citer la très récente revue parue dans Nature Reviews Genetics en octobre 2012 montrant que les cellules iPS n'ont pas plus de défauts que les CSEH (j'en ai parlé ici). Et Nature de citer un scientifique : "Honnêtement, le plus surprenant dans cet article c'est que certains font encore du clonage à l'ère des cellules iPS." ["Honestly, the most surprising thing [about this paper] is that somebody is still doing human [SCNT] in the era of iPS cells"].

Ces embryons sont-ils humains ?
Génétiquement il ne fait aucun doute que ces embryons sont humains : tout est humain dans ces expériences, depuis le noyau prélevé sur un enfant jusqu'à l'oocyte. Et pour savoir s'il s'agit bien de clonage et donc d'un embryon à part entière, un petit d'homme, il suffit de repenser à Dolly. C'était bien une brebis comme toutes les autres. Donc aucun doute n'est permis, implantés ou non, ces embryons obtenus par clonage sont autant humains que vous et moi.

* pour ceux qui ne sauraient pas comment on obtient des oocytes je conseille de chercher "ponction folliculaire" sur google. En gros cela consiste à introduire une aiguille à travers la paroi vaginale afin de prélever les oocytes après de lourds traitements hormonaux. Comme l'a drôlement fait remarqué Mary Meets Dolly dans un billet sensationnel "si pour obtenir des spermatozoïdes, il fallait aller les chercher directement dans les testicules avec une aiguille après injection d’hormones, la recherche sur les cellules souches embryonnaires et le clonage serait encore de la science-fiction." Pour les anglophones son billet sur l'article de Cell est ici.

lundi 13 mai 2013

De le recherche éthique avec les cellules souches embryonnaires… de souris

 
Comment faire progresser la recherche en combinant l’homme, la souris, les cellules souches embryonnaires et les cellules iPS de façon parfaitement éthique ? La preuve par des équipes de Harvard, Yale et Boston.

En hommage à FG

La revue Cell Stem Cell a publié le mois dernier un brillant exemple de recherche à base de cellules souches embryonnaires de souris et de cellules iPS humaines. Le but était d’identifier un possible nouveau traitement pour la sclérose latérale amyotrophique (SLA), également connue sous le nom de maladie de Charcot ou maladie de Lou Gherig, une maladie rare touchant une personne sur 25 000 environ. Cette maladie entraine la dégénérescence des neurones moteurs et aucun médicament n’a à ce jour prouvé une réelle efficacité ; seule le riluzole permet de retarder la mort du patient de deux à trois mois. Deux molécules prometteuses (olesoxime et dexpramipexole) ont récemment échoué à dépasser le stade des essais cliniques de phase III. L’espérance de vie étant d’environ trois ans lorsque l’ALS est diagnostiquée, il est important de trouver de meilleurs traitements.

Des cellules souches embryonnaires de souris
Pour identifier de nouvelles molécules les chercheurs ont d’abord utilisé des cellules souches embryonnaires (CSE) de souris porteuses ou non d’une mutation induisant cette maladie. Ils ont ensuite induit la différenciation de ces CSE de souris en neurones moteurs. Puis ils ont testé des milliers de molécules afin d’identifier celles qui pourraient permettre une meilleure survie des deux types de neurones, afin de ne pas affecter les neurones encore intacts chez un patient tout en améliorant la survie des neurones malades. C’est ainsi qu’ils ont isolé une molécule appelée kenpaullone.

De neurones moteurs de la souris à ceux de l’homme
Afin de passer de la souris à l’homme les chercheurs ont ensuite exploité la technologie des cellules iPS en reprogrammant des cellules issues de deux patients atteints de SLA. En testant en parallèle la nouvelle molécule identifiée et les deux autres n’ayant pas passé la barre des essais cliniques ils ont pu démontré que le kenpaullone avait un effet bénéfique largement supérieur à celui de l’olesoxime alors que le dexpramipexole n’avait aucun effet. Pour être impartial il faut ajouter qu’ils ont également testé une lignée de CSE humaines où le même résultat a été obtenu, mais on voit mal ce que cela apporte par rapport aux cellules iPS issues de patients.

Ce qu’il reste à faire et ce qu’il faut retenir
Si ce travail est très prometteur, le kenpaullone n’a prouvé son efficacité que sur des cellules en culture à ce stade. Et avant de passer à des essais cliniques il faudra d’abord modifier la molécule pour la rendre plus efficace et capable d’atteindre les neurones moteurs.
Il n’en reste pas moins que la démarche utilisée par ces chercheurs est un très bel exemple de ce qu’on peut faire sans avoir recours à des CSE humaines (si l’on oublie la seule expérience mentionnée mais loin d’être indispensable). Et l’adoption de ce type de protocole aurait ans doute permis d’éviter les très coûteux essais cliniques effectués pour le olesoxime et le dexpramipexole qui sont allés jusqu’en phase III.

vendredi 10 mai 2013

Vous voulez un cœur plus jeune ? Demandez du GDF-11

 
Un autre exemple de thérapie cellulaire sans cellules souches : les parois du cœur s’épaississent avec l’âge pouvant conduire à une insuffisance cardiaque diastolique. Pour la première fois on a trouvé un moyen simple de rajeunir le cœur, au moins chez les souris… et c’est garanti sans cellules souches.

Dracula n’avait pas (tout à fait) tort

Vous qui avez toujours rêvé de retrouver un cœur de jeune homme ou de jeune fille, tout espoir n’est pas perdu, mais il vous faudra du sang jeune ! Il faut d’abord remonter au XIXe siècle, époque où l'on a appris à réaliser une parabiose, à savoir relier les systèmes sanguins de deux souris (sans Dracula donc !). Cela permet notamment d’examiner l’effet qu’aura la présence du sang d’une souris jeune sur une souris plus âgé. Des chercheurs du Harvard Stem Cell Institute, institut dont j’ai parlé récemment, ont repris ces expériences pour étudier l’effet de la parabiose sur le muscle cardiaque. Ils ont ainsi découvert qu’une conséquence étonnante de ce traitement est un rajeunissement du cœur dont les parois redeviennent plus fines, pouvant limiter les risques d’insuffisance cardiaque diastolique (mais ce dernier point n’est pas encore démontré).

Encore une hormone aux propriétés étonnantes


Ces chercheurs ont ensuite réussi à isoler le facteur responsable de ce rajeunissement ; il s’agit d’un facteur de croissance appelé GDF-11 qui est abondamment fabriqué chez les jeunes souris mais dont la concentration diminue avec l’âge. L’injection de cette protéine seule, sans parabiose, a permis de récapituler ce rajeunissement cardiaque, démontrant que cette protéine était à elle seule responsable de cet effet. Il reste à espérer que l’effet sera le même chez l’homme et on aura alors un traitement potentiel simple pour pallier ces défauts apparaissant avec l’âge et à ce jour impossibles à traiter.

Le sérieux de cette étude ? Elle est publiée dans Cell et a été immédiatement commentée dans Nature et Science. Dans le même numéro de Cell il est question de la bêtatrophine dont j’ai parlé dernièrement, une hormone susceptible de traiter le diabète. Quand on dit qu’il ne faut pas tout miser sur les cellules souches…

mercredi 8 mai 2013

Critique du projet de loi relatif à la recherche sur l'embryon ou les cellules souches embryonnaires


"Après deux semaines d’interruption, le Parlement reprendra ses travaux à compter du 13 mai avec un programme chargé jusqu’à la suspension estivale. Il devra d’abord achever l’examen des projets de loi entamés, afin de permettre leur mise en application dès la rentrée de septembre, ainsi que l’examen de la proposition de loi autorisant sous certaines conditions la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires."
Extrait du compte rendu du conseil des ministres du 7 mai 2013


Mais quelle est donc cette proposition de loi. Elle est ainsi intitulée : "Proposition de loi tendant à modifier la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique en autorisant sous certaines conditions la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires."
Il manque juste deux mots essentiels. Tel quel, ce titre met hors la loi tous les laboratoires travaillant sur les embryons animaux ou les cellules souches embryonnaires animales car aucun de ces laboratoires n'a demandé l'avis de l'agence de la biomédecine (ABM). Il faudrait intituler la loi "(...)
la recherche sur l’embryon humain et les cellules souches embryonnaires humaines."


Critique de l'article unique de cette proposition de loi

« Art. L. 2151-5. – I. – Aucune recherche sur l’embryon humain ni sur les cellules souches embryonnaires ne peut être entreprise sans autorisation. Un protocole de recherche conduit sur un embryon humain ou sur des cellules souches embryonnaires issues d’un embryon humain ne peut être autorisé que si :
« 1° La pertinence scientifique de la recherche est établie ;

La pertinence scientifique de la recherche peut toujours être établie d’une façon ou d’une autre donc cet article ne constitue en rien une condition.

« 2° La recherche, fondamentale ou appliquée, s’inscrit dans une finalité médicale ;

Encore une fois il est facile de trouver une finalité médicale à toute recherche. Les chercheurs ont l’habitude de justifier ainsi leurs recherches ; et même les articles scientifiques médiocres peuvent conclure que cela ouvre de nouvelles pistes pour une maladie ou l’autre.

« 3° En l’état des connaissances scientifiques, cette recherche ne peut être menée sans recourir à ces embryons ou ces cellules souches embryonnaires ;

Les cellules souches embryonnaires ont été définies comme l’étalon-or des cellules souches ; “L’état des connaissances scientifiques” ne permettra donc jamais d’interdire un projet de recherche car il n’y aura jamais rien pour remplacer cet étalon-or.

« 4° Le projet et les conditions de mise en œuvre du protocole respectent les principes éthiques relatifs à la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires.

Quels sont ces principes éthiques, où sont-ils définis ? En droit français, européen ? Un principe éthique, dans notre monde relativiste, ne signifie strictement rien. On connaît des bioéthiciens qui justifient l’infanticide… Des références précises seraient indispensables. En l’état cela ressemble fort à une simple précaution oratoire ne permettant pas de refuser le moindre projet.

(…)

« III. – Les protocoles de recherche sont autorisés par l’Agence de la biomédecine après vérification que les conditions posées au I du présent article sont satisfaites. La décision de l’agence, assortie de l’avis du conseil d’orientation, est communiquée aux ministres chargés de la santé et de la recherche qui peuvent, dans un délai d’un mois et conjointement, demander un nouvel examen du dossier ayant servi de fondement à la décision :

« 1° En cas de doute sur le respect des principes éthiques ou sur la pertinence scientifique d’un protocole autorisé. L’agence procède à ce nouvel examen dans un délai de trente jours. En cas de confirmation de la décision, la validation du protocole est réputée acquise ;

« 2° Dans l’intérêt de la santé publique ou de la recherche scientifique, lorsque le protocole a été refusé. L’agence procède à ce nouvel examen dans un délai de trente jours. En cas de confirmation de la décision, le refus du protocole est réputé acquis.

« En cas de violation des prescriptions législatives et réglementaires ou de celles fixées par l’autorisation, l’agence suspend l’autorisation de la recherche ou la retire. L’agence diligente des inspections comprenant un ou des experts n’ayant aucun lien avec l’équipe de recherche dans les conditions fixées à l’article L. 1418-2.

Si je lis correctement le point III, la décision de l’agence de biomédecine se base sur l’avis du conseil d’orientation. La composition de ce conseil qui date de 2011 pour une durée de trois ans est donc déterminante. Il comprend à l’heure actuelle trente et un membres issus de nombreuses composantes. On y trouve des experts scientifiques, des représentants de malades, d’associations familiales, de différents comités consultatifs etc. Bref, il y a très peu de gens à même de juger de la pertinence scientifique du projet, de la finalité médicale ou de l'impossibilité d'effectuer ces recherches autrement. On comprend mieux pourquoi cela est devenu une chambre d’enregistrement des projets, avec plus de cent soixante dix autorisations pour moins de dix refus en treize ans. Cela fait un taux de validation supérieur à 95% ! Pour mémoire l’agence nationale de la recherche (ANR) finance moins de 20% des projets qui lui sont proposés. Certes l’ABM ne donne pas de financements donc c’est plus facile de valider des projets ; mais il est certain que même si l’ANR disposait de fonds sans limite elle ne financerait jamais 95% des projets. Alors que tous les projets scientifiques sont normalement évalués par des pairs de façon anonyme, conduisant à un taux de rejets important, rien de tel ici… Quand on sait que le meilleur moyen de modéliser une maladie est de reprogrammer des cellules de patients et que l'ABM a validé des projets consistants à exploiter des embryons atteints de maladies pour avoir un tel modèle, on peut avoir de sérieux doutes sur la validité du travail de l'ABM (ajoutons cependant que quelques rares maladies ne peuvent pas être modélisées avec des cellules iPS).

samedi 4 mai 2013

Traiter le diabète sans insuline et sans cellules souches ?

 
La thérapie cellulaire est grosse des mêmes promesses que la thérapie génique il y a 20 ans. Mais de même que la thérapie génique tarde à montrer son efficacité, il ne faut pas tout miser sur les cellules souches.

Le diabète de type 2 est une maladie dévastatrice affectant plus de 300 millions de personnes dans le monde. Il est dû à une déficience des cellules du pancréas appelées cellules bêta qui sécrètent l’insuline et régulent ainsi le taux de sucre contenu dans le sang. Les cellules souches semblaient une bonne façon de renforcer ou reconstituer un pancréas déficient : pas moins de 700 articles de recherche parlent de diabète et de cellules souches embryonnaires (au 1er mai sur pubmed). C’était sans compter sur la bêtatrophine, petite dernière de la grande famille des hormones qui régulent le développement et l’homéostasie du corps.

Dans un article publié par la très prestigieuse revue Cell (qui publia en 2006 les travaux de Yamanaka sur les cellues iPS) Douglas Melton, co-directeur du Harvard Stem Cell Institute de Cambridge (USA) et ses collaborateurs viennent d’identifier une nouvelle hormone qu’ils sont appelé la bêtatrophine. Après avoir traité des souris de façon à bloquer leur production d’insuline, ils ont cherché à savoir comment les souris répondaient. Ils ont ainsi trouvé un gène dont l’expression augmente alors considérablement et qui code une protéine sécrétée par le foie et les cellules adipeuses. L’introduction de copies supplémentaires de ce gène codant la bêtatrophine est capable d’induire la multiplication des cellules bêta du pancréas, mais n’a aucun effet sur les autres tissus. On peut ainsi corriger les défauts de sécrétion d'insuline ce qui permettrait de traiter un diabète de type 2, voire aussi de type 1.

Ce qu’il reste à faire 
Pour le moment cette étude a été réalisée chez des souris encore jeunes. Il reste à démontrer que la bêtatrophine aura le même effet chez des souris plus âgées, et bien sûr il faut espérer que cette hormone aura le même effet chez l’homme. D’autre part la bêtatrophine elle-même n’a pas encore été isolée car les recherches ont été effectuées à partir du gène codant cette protéine et non directement avec la protéine. L’équipe de recherche s’est associée à deux entreprises de biotechnologie pour synthétiser cette protéine en grande quantité ; on parle à l’heure actuelle d’un délai de deux ans avant d’avoir produit une quantité suffisante de bêtatrophine pour des essais chez l’homme.

Une avancée majeure reconnues par Nature et Science
C’est cependant un grand espoir pour le traitement du diabète de l’avis de plusieurs spécialistes tels que Matthias Hebrok, directeur du “Diabetes Center” de l’université de San Francisco, ou Henrik Semb, directeur du “Centre danois des cellules souches” à Copenhague au Danemark. D'ailleurs les revues rivales Science et Nature ne s'y sont pas trompées en consacrant immédiatement une annonce à cet article. Des injections hebdomadaires ou mensuelles voire moins fréquentes de cette molécule pourrait remplacer les injections quotidiennes d’insuline. Et cela démontre de façon magistrale à quel point la recherche sur les cellules souches, embryonnaires ou non, ne doit pas occulter les progrès fantastiques réalisés en suivant d’autres routes. Ironie de l’histoire, Douglas Melton utilise aussi dans son laboratoire des cellules souches embryonnaires humaines qui n’auront servi à rien pour obtenir ce résultat.

Autre source : Science Daily