jeudi 23 avril 2015

Édition transmissible du génome humain : déjà une première tentative

Confirmant une rumeur persistante ces dernières semaines, un journal (la revue Protein & Cell qui est très récente et a un facteur d’impact -2,8- assez modeste) a publié la première tentative d’édition du génome d’un embryon humain. Afin d’éviter une réaction de rejet trop forte par la société qui devrait s’inquiéter des modifications transmissibles du génome humain, ils disent avoir sélectionné des embryons non viables (au lieu de posséder un matériel génétique normal en deux copies, il y avait trois copies) provenant de cliniques pratiquant des fécondations in vitro. Utilisant la technique du CRISPR/Cas9 (je renvoie le lecteurs à mes deux billets précédents) ils ont cherché à corriger le gène HBB de la β-globine dont les mutations sont responsables de la β-thallassémie qui affecte les globules rouges.
Ils ont injecté le système protéique CRISPR/Cas9 et le gène corrigé dans pas moins de 86 zygotes (embryon 1-cellule) humains. Deux jours plus tard il restait 71 embryons (les autres étaient morts avant) au stade 8-cellules et 54 d’entre eux furent testés génétiquement. Mais seuls 28 embryons ont vu leur ADN coupé par le facteur CRISPR/Cas9, et la recombinaison génétique recherchée n’a été observée que dans une poignée d’embryons. Mais les chercheurs ont aussi observé une pléiade d’erreurs diverses et variées, dans le site du gène lui-même et d’autres dues à des effets non désirés ailleurs dans le génome. Ces dernières mutations en particulier sont très inquiétantes : elles ont été trouvées en bien plus grand nombre que ce qu’on pouvait prédire à partir des études faites dans l’embryon de souris.

Ce qu’on peut en penser
C’est à la fois une mauvaise et une "bonne" nouvelle. D’une part ce qui aurait été encore considéré comme une transgression majeure il y a peu a désormais été tenté : on a essayé de modifier le génome humain et ces modifications auraient été transmissibles aux descendants. D’autre part, comme prédit, afin d’éviter des critiques trop fortes cette première transgression est présentée comme positive, puisqu’il se serait agi de guérir une maladie (voir le billet précédent). Cependant, l’échec presque total de cette première tentative est un avertissement, et finalement une « bonne » nouvelle. Les chercheurs qui se sont précipités pour exploiter cette technique chez l’embryon humain ont montré que cela était très loin d’être aussi facile que certains l’espéraient, et même en réalité totalement inexploitable à l’heure actuelle. Quelle femme acceptera de donner près d’une centaine d’ovules dans l’espoir qu’une poignée d’embryons, dans le meilleur des cas, puissent être « corrigés », sans garantie que des mutations secondaires n’ont pas été introduites ailleurs dans le génome par la même occasion ? Les chercheurs eux-mêmes ont conclu que cette technique était encore très loin d’être exploitable chez l’homme.

Premières leçons
George Daley, un des leaders mondiaux des cellules souches dont le laboratoire est à Harvard, déclare : « Their study should be a stern warning to any practitioner who thinks the technology is ready for testing to eradicate disease genes. » ["Leur étude devrait un avertissement très clair à tous les chercheurs qui penseraient que cette technique est prête à être testée pour éradiquer des maladies génétiques"]. Autre leçon intéressante : l’auteur principal des recherches a déclaré que Nature et Science avaient rejeté l’article notamment sur la base de considérations éthiques. On peut donc espérer que, comme l’ont réclamé de nombreux chercheurs, un moratoire sur l’utilisation de cette technique chez l'embryon humain soit mis en place. Malheureusement, ce n’est pas le cas : pas moins de quatre autres équipes de recherche, toutes chinoises, auraient déjà effectué le même type d’expériences. Et sans doutes d'autres, ailleurs dans le monde.


Sources : un billet du site Nature News, et l’article lui-même (en libre accès).

jeudi 2 avril 2015

Les implications de l'exploitation de la technique du CRISPR/Cas9 chez l'homme


La technique du CRISPR/Cas9 est un outil révolutionnaire pour les chercheurs, et on peut imaginer faire des progrès médicaux fantastiques grâce à elle. Malheureusement elle peut aussi être exploitée pour initier le meilleur des mondes. Il appartient à la société civile de s’emparer de cette question de façon urgente, et d’exiger des politiques un accord mondial pour bloquer, tant qu’il en est encore temps, les modifications transmissibles du génome humain.

—————————————————————————————

Après la technique (voir billet précédent), qu’il fallait bien aborder pour que la suite soit compréhensible, voici venu le temps des implications de la découverte du système de modification du génome par la technique dite du CRISPR/Cas9. 

Une précision indispensable
En elle-même la technique du CRISPR/Cas9 ne pose aucun problème éthique. Elle sert uniquement à modifier une séquence d’ADN d’une façon plus spécifique et surtout plus simple que ce qu’on savait faire avant. J’ai tenté une comparaison avec la recherche nucléaire dans mon billet précédent ; elle n’est pas très bonne comme on le verra, car c’est l’utilisation de la technique qui peut poser un problème, contrairement au nucléaire qui est dangereux par essence, même dans le cadre d’une utilisation civile. En revanche ce qu’on peut désormais envisager de faire, à savoir modifier le génome des cellules germinales, d’un zygote ou d’un embryon de quelques cellules, a une portée potentiellement bien plus grave que l’atome.

Le CRISPR/Cas9, un outil fantastique pour la recherche
La technique décrite dans le billet précédent est tellement simple que presque tous les laboratoires de la planète l’ont déjà utilisée ou envisage de l’exploiter prochainement (si vous vous demandez si cela concerne l’équipe du rédacteur de ce blog, la réponse est oui, nous l’avons déjà utilisée). Cela marche si bien que c’est un vrai bonheur à mettre en œuvre. Par exemple, pour la première fois nous pouvons facilement ajouter un gène codant une protéine fluorescente à un gène du génome de n’importe quel organisme. De cette façon nous pouvons voir la protéine correspondante dans un contexte aussi naturel que possible. Avant cela, la protéine d’intérêt était soit observée dans des cellules intactes mais était presque systématiquement surexprimée, ou bien il fallait « fixer » (c’est-à-dire ajouter des produits qui figeait, et tuait, les cellules) avant d’ajouter un anticorps (pas de surexpression, mais des cellules loin d’être intactes). Aujourd’hui nous pouvons localiser un facteur exprimé de façon naturelle dans des cellules vivantes. C’est donc un outil fantastique pour les chercheurs.

Autre exemple : pour comprendre la fonction d’un gène il est fréquent de le supprimer puis de voir ce qui se passe dans les cellules ou dans un organisme. Mais cela reflète rarement ce qui se passe chez les patients où souvent la mutation est ponctuelle. Grâce au CRISPR/Cas9 on peut reproduire cette mutation dans n’importe quel contexte ; l’alternative exploitée jusque là consistait à prélever des cellules chez un patient puis à les reprogrammer en cellules iPS et les redifférencier, ce qui représente une série d’expériences assez lourdes par rapport à ce que permet le CRISPR/Cas9.

Le CRISPR/Cas9 facilite aussi les modifications « germinales »transmissibles
Les cellules du corps peuvent être réparties en deux grandes catégories : cellules somatiques et cellules germinales. Les premières, de très loin les plus nombreuses, ne transmettront pas leur génome à un autre individu. Par opposition les cellules germinales vont transmettre leur génome : ce sont les ovules et les spermatozoïdes et les cellules qui vont leur donner naissance. Par extension ce sont aussi les premières cellules embryonnaires qui peuvent toutes donner naissance  aux cellules qui vont former les organes reproducteurs. Modifier les cellules somatiques ne pose a priori aucun problème éthique, en tout cas pas s’il s’agit de corriger des mutations par exemple. En revanche modifier le génome des cellules germinales (telles que définies plus haut, à savoir les cellules qui vont donner des ovules ou des spermatozoïdes, mais aussi le zygote ou l’embryon précoce) franchit un pas considéré par la plupart comme déterminant, car les modifications seront transmises ; avec les erreurs potentielles dues au processus de correction (voir billet précédent). Mais surtout on entre dans l’ère de la création d’enfants sur mesure. Jusque là c’était un fantasme techniquement infaisable, et cela le restera encore un moment. En effet si introduire une modification du génome est facile, en introduire entre deux et cinq devient un exploit technique, et au-delà cela reste à ce jour de la science fiction. Sauf si on prend en compte la possibilité de fabriquer des cellules germinales à volonté à partir de cellules iPS. Autrement dit, « cellules iPS différenciées en cellules germinales et CRISPR/Cas9 » pourrait être la recette menant à la voie du bébé OGM sur mesure.

Ce qu’il aurait fallu faire : une leçon pour la suite
Comme souvent, la technique a largement dépassé la législation actuelle, à une vitesse totalement imprévue, et comme le disent de nombreux experts, il est sans doute trop tard pour légiférer au niveau mondial (voir par exemple le billet de Paul Knoepfler sur son blog). Cela aurait pourtant été possible. Après tout l’adoption par de nombreux pays de l’interdiction du clonage reproducteur a fonctionné jusque là. Aucun clone n’est né, et pour autant qu’on sache personne ne cherche à en faire naître. En revanche le bruit court que pas moins de quatre équipes ont modifié le génome d’embryons humains, sans doute surnuméraires. Rien n’empêche d’imaginer que ces embryons pourraient être implantés et donner naissance à des enfants. Bien sûr, l’argument de la compassion sera exploité : il s’agira de corriger un défaut génétique majeur (prédisposition au cancer du sein, mucoviscidose, myopathie), justifiant alors le recours à ces modifications transmissibles.

Mais ce serait une erreur majeure. D’abord cela ouvrirait la porte à d’autres modifications, non plus pour corriger mais pour améliorer, dans un but clairement eugéniste, en exploitant les recettes mises au point. D’autre part cela bloquerait sans doute les recherches sur l’utilisation du CRISPR/Cas9 chez les patients. Cette démarche est beaucoup plus complexe : au lieu de modifier une ou quelques cellules, il faudra modifier le génome de milliers, et sans doute plutôt de millions, de cellules, chez un enfant ou un adulte. Ce serait pourtant la bonne approche : le risque d’erreur inhérent au CRISPR/Cas9 serait beaucoup plus facile à gérer, et il ne pourrait pas être transmis à un descendant.