Tout commence en décembre 1987 de façon anodine : une équipe japonaise rapporte l’existence de séquences répétées d’un genre nouveau dans le génome d’une bactérie on ne peut plus ordinaire. En 2015, c’est la base de l’outil qui permet à tous les biologistes de la planète de modifier à volonté le génome de n’importe quel organisme vivant. Y compris des embryons humains comme le veut une rumeur persistante : pas moins de quatre articles seraient actuellement soumis pour publication aux plus grandes revues. Comme pour l'énergie nucléaire, il est sans doute trop tard pour prendre le temps de réfléchir…
Des débuts dans l'ombre
Entre les deux, c’est la fascinante histoire d’une recherche fondamentale comme il y a dans tous les laboratoires du monde, qui débouche peu à peu sur une découverte qui va révolutionner la manipulation du génome. De 1987 à 2002, il ne se passe rien, ou presque. Puis une équipe hollandaise rapporte qu’elle a identifié les mêmes séquences répétées dans plein de bactéries, ainsi que des gènes qui leur sont associées. En 2005 trois équipes démontrent que les séquences répétées, baptisées CRISPR (Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats) ressemblent furieusement à de l’ADN de virus appelés bactériophages et capables de parasiter et détruire les bactéries. Dès 2006, une hypothèse est avancée : ces séquences répétées trouvées dans les bactéries pourraient être une forme de défense, un genre de système immunitaire à l’échelle de l’ADN. Les gènes associés aux CRISPRs sont appelés Cas (CRISPR associated genes). On réalisera que ces gènes Cas codent des protéines capables de couper l’ADN.
L'industrie au service de la recherche fondamentale
L’histoire prend ensuite une tournant inattendu sour la forme de la firme Danisco-Dupont qui fabrique des yaourts et du fromage. Pour cela ils utilisent une bactérie, Streptococcus thermophilus, qui est trop souvent la cible des bactériophages. Comment se débarrasser de cette menace constante et ruineuse ? Tout simplement en introduisant le mécanisme de défense supposé, baptisé CRISPR/Cas, dans leur bactérie vedette. Intuition géniale qui débouchera sur le premier article important de cette histoire, paru dans Science en 2007. Ce système permet en effet aux bactéries de se débarrasser des virus tueurs sans problème.
La technique est mise au point
Quelques années plus tard nous nous retrouvons dans l’équipe d’Emmanuelle Charpentier, une française au parcours atypique (USA, Autriche, Suède) qui publie coup sur coup un Nature en 2011 puis un Science en 2012 (avec Jennifer Doudna, autre grand nom de cette histoire) qui établissent le système connu aujourd’hui sous le nom de CRISPR/Cas9. Pour faire un simple, des petites séquences d’ARN (dites ARN guide) s’hybrident de façon spécifique à l’ADN et recrutent une protéine, Cas9, capable de couper l’ADN. En se réparant, l’ADN introduit des erreurs. On tient enfin un outil simple capable d’induire des mutations, non plus de façon aléatoire comme on le faisait avant, ce qui imposait un gros travail de criblage pour identifier les mutations intéressantes, mais un système simple qui cible une séquence précise (1). À partir de là tout s’emballe et la communauté scientifique dans son ensemble d’empare de cette nouvelle technique. Elle est si simple à mettre en œuvre qu’un an plus tard, elle est exploitée chez un petit vers (C. elegans), chez la mouche (Drosophile), chez un poisson (le poisson zèbre), des plantes, et déjà dans des cellules humaines.
Modification "à façon" très simple du génome
Pourtant un résultat va encore améliorer cet outil fantastique et le transformer en kit tout-en-un de modification du génome : en effet il ne s’agit jusque là que d’introduire des mutations, toujours un peu au hasard. La dernière étape sera de pouvoir introduire des mutations précises, voire même d’insérer une séquence d’ADN dans le génome. Cette étape sera franchie la même année (on est en 2013) dans différents modèles y compris dans des cellules humaines : une fois l’ADN coupé, sa réparation peut se faire à partir d’une copie qu’on introduit dans la cellule en même temps que le reste (ARN guide et la protéine Cas9). La copie peut être façonnée à volonté avant son introduction ; on tient donc l’outil idéal, permettant de modifier à volonté le génome de façon simple. Et cela a déjà été fait avec succès chez la souris en 2014 (publication dans Science) pour corriger un défaut génétique comme la myopathie de Duchenne.
Les caveat: questions sur la précision et problème éthique
Le premier problème de cette méthode extraordinaire réside dans son manque de spécificité : les petits ARN guides sont trop petits pour être parfaitement spécifiques d’une seule séquence du génome, et ils leur arrivent de s’hybrider à l’ADN de façon non spécifique, introduisant alors des mutations dans des endroits non désirés. Il existe des moyens de réduire ce risque, mais ils ne sera jamais complètement absent.
Le second problème, c’est que cette méthode est si simple qu’elle ouvre grand la porte à l’eugénisme le plus fou. Bien sûr les premiers laboratoires à exploiter cette technique chez l’homme le feront pour corriger un défaut grave. On parle de corrections de mutations dans le gène BRCA1 (qui favorisent le cancer du sein) ou dans le gène CFTR (responsables de la mucoviscidose) pour les articles qui seraient soumis. Mais qui pourra empêcher une clinique privée de faire la même chose pour non plus corriger, mais améliorer le génome ? Mais ce sera l’objet du prochain billet qui portera la catastrophe éthique qui se profile à l’horizon. La technique a pris tout le monde de vitesse, et il est sans doute trop tard pour contrôler la modification germinale (c’est-à-dire transmissible aux descendants) du génome humain.
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(1) C’est un peu comme si on voulait découper un mot dans un livre. Avant on découpait plein de mots au hasard dans des milliers de livres puis on cherchait le livre où le bon mot avait été découpé. On sait aujourd’hui viser le mot en question directement…