Commentaire sur l'article récemment publié par Guenou et al, The Lancet, 374, 1745 dont M. Peschanski est un co-auteur.
Pour traiter les grands brûlés, on a recours à la culture de cellules de la peau prélevées dans des zones non affectées par la brûlure. C’est une excellente méthode dans la mesure où la greffe est totalement compatible puisqu’il s’agit d’une autogreffre. Le principal souci vient du délai nécessaire pour obtenir une surface de peau suffisante pour couvrir une brûlure importante, délai qui est d’environ trois semaines. Pendant ce laps de temps, la brûlure est généralement couverte avec de la peau issue de cadavres humains, ou de tissus semi artificiels. Mais il y a toujours des risques non négligeables de rejet rapide et la peau issue de cadavres n’est pas disponible en quantités suffisantes. Les cellules souches embryonnaires (CSE) humaines pourraient être une ressource alternative si on parvient à induire leur différenciation en cellules de la peau avec un protocole fiable, car on pourrait alors produire des quantités de peau en théorie illimitées.
Je passe sur les détails du protocole mis au point qui prend environ 40 jours pour aller d’une lignée de CSE à des kératinocytes qui peuvent être cultivées ou congelés. En résumé, les lignées de CSE humaines H9 et SA01 ont été utilisées et ont permis de générer un tissu qui avait toutes les caractéristiques de la peau en épithélium pluristratifié. De plus, des greffes sur cinq souris immunodéprimées (souris nude) ont montré que cette peau pouvait être stable pendant au moins 12 semaines. Pour générer de la peau de cette façon, il est possible de répéter la totalité du protocole en partant de lignées de CSE, ou bien démarrer directement avec les kératinocytes congelés que l’on remettrait en culture. Cette dernière solution permettrait de gagner beaucoup de temps. Un avantage certain de cette technique vient de la faible expression de marqueurs de l’immunité comme le MHC dans ces cellules de la peau obtenues ainsi, ce qui réduirait le risque de rejet par un patient.
Ce qu’il y a de nouveau
Pour la première fois, on est capable de générer un épithélium pluristratifié, autrement dit de la peau, à partir cellules souches embryonnaires humaines. C’est la transposition à l’homme d’un travail effectué chez la souris en 2003 (Coraux et al, Curr Biol, 13, 849). Ce pourrait donc être une solution pour traiter de façon temporaire de grands brûlés ou d’autres maladies de la peau comme l’épidermolyse bulleuse.
Problèmes potentiels
- Un centre de traitement devra avoir en permanence des kératinocytes à différents stades de culture pour utilisation à tout moment. Ce qui a pu être fait dans un laboratoire très bien équipé pourra-t-il être reproduit à l’échelle quasi industrielle ?
- Les essais ont été faits sur des souris immunodéprimées. Les greffes, même temporaires et n’exprimant que peu d’antigènes, tiendront-elles chez des patients non immunodéprimés ?
- L’analyse des résultats chez les souris a été fait après 12 semaines. Est-ce assez pour s’assurer de l’innocuité des cellules utilisées ? Il pourrait suffire de quelques CSE non différenciées pour risquer d’induire un cancer. Une étude chez la souris n’a pas mis en évidence de pouvoir cancérigène de kératinocytes de souris obtenus à partir de CSE de souris (Coraux et al, Curr Biol, 13, 849). Mais cela devra être suivi de façon très précise lors des essais thérapeutiques. La présence de microcystes dans les souris testés par Geron avant son essai chez l’homme est à l’origine de l’arrêt temporaire de cet essai.
- Il reste à démontrer la validité du processus de greffe temporaire chez l’homme. Ce qui a marché avec des cellules humaines chez des souris ne devrait pas poser de problème chez l’homme, mais encore faut-il le démontrer. Ce sera le rôle des essais cliniques.
- Le premier essai thérapeutique testant un produit issu de CSE humaines, initié par Geron, est beaucoup cité bien qu’aujourd’hui arrêté, sans doute pour encore un an.
- « K-hESC allografts might also benefit from banks containing cell lines with appropriately selected haplotypes from rare donors that are triple homozygous for HLA-A, HLA-B, and HLA-DR ». C’est une très bonne suggestion. Le problème est qu’il n’existe sans doute pas de lignées de CSE répondant à ces critères aujourd’hui. Donc soit on décide de créer des embryons à seule fin de recherche, ce qui est interdit aujourd’hui en France et le restera sans doute, soit on est obligé de passer par la reprogrammation de cellules différenciées en cellules iPS. La solution la plus éthique est certainement la deuxième.
Autres solutions possibles
- La même chose pourrait sans doute être mis au point avec des cellules souches adultes de la peau, avec les mêmes restrictions (avoir en permanence différentes étapes du protocole de culture en route simultanément). Un avantage est qu’on pourrait sélectionner des donneurs du génotype cité plus haut sans avoir à passer par des CSE, ni des cellules iPS. Une démonstration partielle de cette possibilité se trouve dans un article publié en 2006 dans la revue Stem Cell par une autre équipe française (Larderet et al, Stem Cell, 24, 965).
- En théorie des cellules iPS pourraient aussi être utilisées. Il ne servirait à rien de reprogrammer des cellules du patient (cela prendrait bien plus de temps que de cultiver les cellules de sa propre peau) mais on pourrait partir de cellules iPS tout comme cette étude est partie de CSE.
En guise de conclusion
C’est une indéniable avancée technique, transposant un travail fait chez la souris en 2003. Aspect éthique mis à part, c’est certainement une piste prometteuse. Mais il y a sans doute d’autres solutions plus acceptables éthiquement, ne passant pas par des CSE humaines. Soit en utilisant des cellules iPS (mais il y aurait tout à faire), soit en isolant des cellules souches de la peau chez des personnes exprimant un système HLA aussi neutre que possible et pouvant être utilisées chez de nombreux patients.
En tout état de cause, cela ne constitue pas la première démonstration d’une application thérapeutique des CSE. Il faudra en effet d’abord faire des essais cliniques chez l’homme. Et rien ne prouve que cette méthode ne soit pas remplacée par une autre qui serait plus performante avant son exploitation éventuelle.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire