Quand famille nombreuse et écologie humaine font bon ménage
Yves Cochet a déclaré il y a quelques années que pour sauver la planète il faudrait faire la « grève du troisième ventre ». Qu'en termes élégants ces choses là sont dites ! Mais cette idée est bien vieille. On pense bien entendu à Malthus et ses théories sur les ressources qui ne font que s’additionner quand les personnes se multiplient. Une organisation quelconque aurait démontré récemment qu’on ferait mieux de promouvoir la pilule, ça coûterait beaucoup moins cher que tous les programmes d’énergie renouvelable, etc. (comme si les fortunes dépensées en Grande-Bretagne pour l’éducation sexuelle avait baissé d’un iota le nombre des adolescentes enceintes…). Mais tout ça, c’est du réchauffé de théories déjà exprimées dans les années 70. Un manuel d’écologie publiée en 1974 faisait l’apologie des augmentations d’impôts pour les familles nombreuses (Paul Duvigneaud, La synthèse écologiste: populations, communautés, ecosystèmes, biosphère, noosphères, Doin, Deren et Cie, 1974, Paris) ; M. Cochet a encore des choses à apprendre s’il veut vraiment jouer le rôle du provocateur.
Toutes ces déclarations sont basées sur l’idée qu’une famille avec un ou deux enfants consomme forcément moins qu’une famille nombreuse, avec disons six enfants. Un journaliste du Times s’est amusé à comparer l’empreinte carbone de deux familles types.
Voici le résumé (source il faut désormais être abonné pour lire cet article) :
Les Watsons : Andrew, un acteur et écrivain; Zoé, un médecin généraliste. Un enfant : Polly, 2 ans
Maison : Cinq pièces au sud de Londres
Quatre jours d'ordures : un seul sac. La famille recycle tout ce qui est possible et fait du compost
Lave-linge : deux fois par semaine
Voitures : deux, dont une hybride
Voyages en avion : Un ou deux par an (ils compensent le carbone)
L'empreinte de carbone par an : 9,8 tonnes pour trois personnes soit 3,3 tonnes par personne
Les Braziers : Colin, présentateur de télévision, et Jo, mère au foyer. Six enfants : Edith, 10 ans ; Agnes, 6 ans; Constance, 5 ans ; Gwendolyn, 3 ans ; Kitty 1 an ; John, trois mois.
Maison : Six pièces dans le Hampshire
Quatre jours d’ordures : deux sacs. Le reste est recyclé
Lave-linge : une fois par jour
Voitures : Deux dont un monospace
Voyages en avion : Pas depuis 2005.
L'empreinte de carbone par an : 10,1 tonnes pour huit personnes soit 1,3 tonne par personne
À tous ceux qui me diront qu'une anecdote n'est pas "scientifique" et qu'il faut de la rigueur je citerai une enquête effectuée en 2011 par Ipsos qui dit exactement la même chose : plus la famille est nombreuse moins le bilan carbone personnel est élevé. Et le chiffre d'Ipsos correspond à celui du Times : le bilan carbone d'un célibataire est trois fois plus élevé que celui d'une famille nombreuse (trois enfants pour Ipsos, mais le bilan s'améliorant à chaque nouvel enfant...).
Bref, on se fait une idée bien fausse de ce que consomme une famille nombreuse. J’ajouterai une remarque très simple : une famille nombreuse implique souvent une mère au foyer et donc un seul salaire. Comment pourrait on consommer plus avec moins d’argent ? C'est un mystère que les adversaires des familles nombreuses n'ont toujours pas résolu. D’autre part, si les empreintes carbone des deux familles citées sont similaires, cela signifie que la famille avec un enfant consomme beaucoup plus par personne que la famille nombreuse, près de trois fois plus, une observation confirmée par Ipsos ! On fait donc de l’enfant unique un futur consommateur acharné, quand les autres auront appris à se limiter et à restreindre leur consommation. Encore une anecdote : les enfants de familles nombreuses sont moins bien équipés que les autres, et de loin : pas de téléphone portable, rares consoles de jeux, souvent pas de télévision ni de HIFI haut de gamme et jamais dans les chambres, vêtements servant à plusieurs enfants et portés jusqu’à la rupture. Les maisons sont grandes donc on chauffe au minimum et on met un pull. Les vacances sont souvent résumées à l'envahissement d'une autre maison de famille nombreuse. Évidemment pas d’avion (c'est beaucoup trop cher). Dois-je continuer ?
Nombre d’enfants ou nombre de familles ?
On me répondra que trois ou quatre générations plus loin, le nombre de personne sera resté stable avec des familles à deux enfants mais aura explosé avec des familles nombreuses. C’est vrai, mais moins qu’on le pense. Dans une famille de six enfants, il n’arrive jamais qu’il y ait 36 petits enfants : certains n’ont pas d’enfants, d’autres en ont moins que leurs parents, etc. De sorte que l’augmentation n’est finalement pas aussi impressionnante que ne voudrait le faire croire les avocats de la famille de deux enfants. D’autre part, c’est en nombre de familles qu’il faut raisonner et non en nombre de personnes puisqu’une famille nombreuse ne consomme pas plus, voire moins, qu’un famille avec un ou deux enfants.
Dans les familles nombreuses, la décroissance se vit à chaque naissance
Enfin, dans un cas on aura des personnes habituées à consommer énormément grâce à des revenus qui permettent de satisfaire tous les caprices. Les enfants gâtés que l'on voit partout, équipés d'une console de jeu portable dès l'âge de cinq ans, d'un iPod dernière génération à huit ans et d'un iPhone avant quinze ans fera un parfait consommateur pavlovien incapable de ne pas remplacer son gadget acheté pourtant à grands frais moins d'un an plus tôt. Oui, la famille nombreuse est anti-consommatrice, à moins d'avoir des moyens extravagants. Ce sont des adultes et des enfants habitués à faire avec les moyens du bord, à se débrouiller, à ne pas penser que la joie et la bonne humeur nécessitent toujours plus de véhicules, de gadgets électroniques ou de vacances à l’autre bout du monde. C’est une question de comportement, et ça ne s’apprend pas dans le cadre d’une petite famille avec beaucoup de moyens. Je souhaite bien du plaisir aux avocats de la décroissance. Ils ont raison sur le fond, mais c’est presque impossible à mettre en œuvre quand on a des revenus largement supérieurs aux besoins réels. Dans les familles nombreuses, la décroissance se vit à chaque nouvelle naissance.
Et les retraites ?
Enfin, avec un système de retraite par répartition, il faut des enfants. Les trop rares familles nombreuses en France ne suffisent pas à assurer le renouvellement des générations, même si on s’en rapproche. Donc je me demande bien qui va payer les retraites dans vingt ou trente ans. L’immigration ? Comme s’ils venaient en France pour payer les retraites des p’tits blancs qui ne veulent plus avoir d’enfants… (cette idée, je l'ai piquée à mon frère ; je lui dois bien une reconnaissance officielle). Autre solution : la retraite par capitalisation. Outre qu’avec la récente et toujours actuelle crise mondiale, ce modèle a du plomb dans l’aile, il serait assez savoureux qu’au nom de l’écologie on devienne capitaliste. Je ne prétends pas résoudre le problème des retraites, je constate juste que plusieurs personnes m’ont déjà fait la remarque que mes enfants payeront leur retraite. À leur place, je n’en serais pas si sûr…
La charité mise en pratique
Enfin il y a une autre évidence qui rentre dans le cadre plus large de l'écologie humaine : la solidarité - je devrais dire la charité - entre les membres d'une famille. Entre parents et enfants cela va de soi quelque soit la taille de la famille. Mais entre frères et sœurs, entre oncles et tantes et neveux et nièces, grands-parents et petits enfants ? Cela existe dans la plupart des familles mais les familles nombreuses offrent des combinaisons à l'infini. La Chine, avec sa politique de l'enfant unique a un problème au moins aussi grave que son déséquilibre homme-femme : celui de l'adulte totalement isolé n'ayant plus personne de sa famille. Qui viendra le visiter, lui ou le couple égoïste qui n'a jamais voulu s'embêter avec des enfants, lorsqu'ils seront vieux et malades ? La famille, que le gouvernement actuel attaque systématiquement est le meilleur garant de la charité entre les générations.
PS : Mise à jour d'un billet publié en 2010.
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2 commentaires:
Je relève tout particulièrement le paragraphe "La décroissance se vit à chaque naissance". De manière générale, le malthusianisme moderne, que l'on retrouve aussi bien chez de soi-disant "écologistes" que chez de nombreux autres énergumènes se réclamant de la modernité, repose sur un dogme fondateur: l'homme serait réduit à une cupidité illimitée au servide d'un hédonisme frénétique. Par conséquent, il ne pourrait et ne devrait pas avoir d'autre but dans la vie que d'accumuler des biens afin de satisfaire son plaisir individuel. Première conséquence: il est exclu de se modérer quelque peu pour partager avec les nouveaux venus - plutôt moins d'enfants, et à n'importe quel prix, qu'un léger frein à notre consommation; seconde conséquence: la parentalité est aliénante, puisqu'elle suppose de consacrer du temps à l'autre (les enfants) au lieu de "s'éclater", s'enivrer de la drogue du Fun.
C'est dire à quel point ceux qui se réclament de l'écologie et prônent le malthusianisme pour se protéger d'une logique de partage et de modération sont dans la contradiction et l'incohérence. Par chance, beaucoup d'écologistes rejoignent le camp de la sobriété heureuse, concept à décliner aussi bien en famille que dans la famille Humanité.
Merci Phylloscopus pour ce commentaire pertinent et la démonstration que la "grève du troisième ventre" est contre-productive.
PS : j'ai découvert votre blogue grâce à Twitter et je ne le regrette pas !
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