J'avais hésité à présenter la méduse Turritopsis nutricula quand on a commencé à en parler dans les journaux anglo-saxons. Maintenant que la chose a fini par percer dans les médias français, je ne peux pas résister à l'envie de démythifier la bestiole "immortelle". En effet, "Turritopsis nutricula est à ce jour le seul animal connu capable de retourner à sa forme juvénile après avoir été sexuellement mature, grâce à un mécanisme cellulaire nommé transdifférenciation" nous dit Maxisciences notamment. Mais ce n'est pas nouveau : cette propriété est en réalité connue depuis les années 1990 au moins (source).
Si elle fait aujourd'hui sensation, c'est d'une part parce qu'on a collé le terme de transdifférenciation à cette faculté de reprendre une forme juvénile après avoir été adulte. Et ce mot "transdifférenciation" n'est pas neutre, comme les lecteurs de ce blog peuvent se souvenir (voir ici). Il s'agit de transformer une cellule différenciée en une autre cellule, également différenciée, mais sans passer par une étape de reprogrammation comme pour les cellules iPS par exemple. Parler aujourd'hui de transdifférenciation, c'est très à la mode. Mais je ne suis pas sûr qu'on parle exactement de la même chose quand il s'agit d'une méduse retournant à l'état juvénile et quand on cherche à transformer des cellules du pancréas chez l'homme.
D'autre part cette méduse semble être en train d'envahir les océans du globe et il est tentant de voir dans son immortalité la cause de cette invasion. Il semble cependant peu probable que cette immortalité ait quoi que ce soit à voir avec sa multiplication, sinon elle serait partout depuis longtemps. À moins de supposer que cette faculté soit apparue ces dernières années, ce qui reste à démontrer !
jeudi 29 janvier 2009
mardi 27 janvier 2009
La gourmandise est un vilain défaut
Dans un article intitulé "Promise, peril seen with embryonic stem cells" du San Jose Mercury News sur les promesses et inconvénients des cellules souches embryonnaires (CSE), on lit cette déclaration : "Another hindrance is that Geron and Advanced Cell hold many key patents for human embryonic stem cells." Autrement dit la multiplication de ces brevets détenus par des compagnies privées risque d'être un frein bien plus important pour la recherche sur les CSE que celui imposé par Bush en 2001...
lundi 26 janvier 2009
Précision sur le premier essai clinique avec des CSE humaines
Contrairement à ce qui est écrit dans de très nombreux articles ces derniers jours, ce premier essai concernant des cellules souches embryonnaires (CSE) humaines aurait reçu l'aval de l'administration Bush. En effet la société Geron, qui va conduire cet essai, a utilisé des lignées de cellules souches datant d'avant le moratoire imposé par Bush en 2001 sur le financement fédéral de ces recherches. Donc l'arrivée d'Obama n'est pour rien dans cette histoire. On pourrait même soupçonner le contraire : l'annonce de l'autorisation de cet essai aurait pu être programmé de façon à donner l'impression que l'arrivée d'Obama y était pour quelque chose.
Soit dit en passant, qu'une société privée ait décidé d'utiliser des lignées cellulaires officiellement "autorisées" plutôt que d'en créer de nouvelles avec des fonds privés remet en cause la nécessité de créer de nouvelles lignées de CSE humaines...
Soit dit en passant, qu'une société privée ait décidé d'utiliser des lignées cellulaires officiellement "autorisées" plutôt que d'en créer de nouvelles avec des fonds privés remet en cause la nécessité de créer de nouvelles lignées de CSE humaines...
Comment avoir la mémoire courte ?
Où vont se nicher les informations que nous retenons, ou autrement dit, quelle est la nature de la mémoire à long terme ? Le plus souvent la réponse donnée fait intervenir des réseaux de neurones et l'établissement de nouvelles connections. Une autre question qui se pose à propos de la mémoire est de savoir comment nous faisons pour retenir une impressionnante quantité d'informations que l'on stocke pour quelques secondes ou quelques minutes ? Répondre à cette question, c'est pouvoir envisager des traitements pour la maladie d'Alzheimer.
Un article paru hier dans Nature Neuroscience (Sidiropoulou et al, AOP) propose une nouvelle hypothèse : il semble que la mémoire à court terme peut être assurée par une unique cellule nerveuse ce qui permettrait d'expliquer la vitesse à laquelle ces informations sont mémorisées puis oubliées. Le récepteur au glutamate mGluR5 est essentielle pour cette mémoire à court terme grâce à sa capacité à rester dépolarisé pendant 3 secondes même après une très brève stimulation, la cellule gardant elle-même une "mémoire" de cette stimulation pendant plus longtemps, jusqu'à une minute. Ce qu'on ne sait pas en revanche, c'est comment la mémoire est codée dans cette cellule en aval du récepteur mGluR5.
Un article paru hier dans Nature Neuroscience (Sidiropoulou et al, AOP) propose une nouvelle hypothèse : il semble que la mémoire à court terme peut être assurée par une unique cellule nerveuse ce qui permettrait d'expliquer la vitesse à laquelle ces informations sont mémorisées puis oubliées. Le récepteur au glutamate mGluR5 est essentielle pour cette mémoire à court terme grâce à sa capacité à rester dépolarisé pendant 3 secondes même après une très brève stimulation, la cellule gardant elle-même une "mémoire" de cette stimulation pendant plus longtemps, jusqu'à une minute. Ce qu'on ne sait pas en revanche, c'est comment la mémoire est codée dans cette cellule en aval du récepteur mGluR5.
dimanche 25 janvier 2009
Une étude passée à peu près inaperçue : comment régénérer des neurones ?
La tourmente médiatique sur les cellules souches a été double cette semaine. D’une part l’entrée en fonction d’Obama rend plus que probable une levée des limites imposées par Bush concernant la recherche sur les cellules souches embryonnaires (CSE) humaines ; d’autre part, on nous a annoncé le début du premier essai clinique pour des CSE humaines qui vient d’être autorisé par la FDA.
Deux approches pour guérir une lésion de la moelle épinière
Au milieu de ce tintamarre médiatique, un article de Science publié vendredi est passé inaperçu (Hammarlund et al, "Science Express Reports") une référence seulement sur le web francophone…). Il est pourtant très intéressant puisqu’il s’agit de régénération de cellules nerveuses. Il est bien connu que ces cellules repoussent très mal dans le système nerveux central (cerveau et moelle épinière). C’est pour ça qu’une section de la moelle épinière est en général inguérissable : les neurones ne se régénèrent pas.
Il y a deux approches pour traiter ce genre de lésion : soit injecter des neurones sains, ce qui est l’option prise dans l’essai clinique évoqué plus haut, soit induire la guérison par une réparation spontanée de la lésion en provoquant une régénération nerveuse.
La régénération des neurones sera-t-elle un jour possible ?
On est bien loin d’un modèle humain encore puisque l’étude dont je vais parler a été réalisée chez un petit vers de terre, Cænorhabditis elegans. Ce dernier est un des organismes modèles les plus étudiés dans les laboratoires. Des chercheurs de l’université d’Utah aux États-Unis ont pu démontrer que la protéine DLK-1 est essentielle pour la régénération, grâce à des expériences impliquant la lésion de neurones avec un laser et la suppression de l’activité de DLK-1 : dans ce cas, les neurones étaient incapables de repousser. D’autre part, la surexpression de DLK-1 pouvait stimuler la croissance des neurones. DLK-1 intervient dans une voie "MAP kinase" comprenant également MKK-4 et PMK-3. Ces protéines, essentielles pour la régénération de neurones chez ce petit vers, sont conservées chez l’homme. Cela ouvre donc la voie à une possible régénération de neurones chez l’homme, en activant cette voie MAP kinase, et en particulier DLK-1.
Stimulation ou répression ?
Aujourd’hui, nos connaissances sur la régénération des neurones concerne le blocage de système inhibiteurs empêchant la croissance (deux articles de novembre 2008 dans Science : Atwal et al, 322, 967 ; Park et al, 322, 963). Cette étude est la première à identifier un facteur stimulant cette croissance. Reste à démontrer que cette protéine a la même fonction chez l’homme. Et à apprendre à maîtriser une éventuelle activation de cette voie car chez le vers, la stimulation de cette protéine doit avoir lieu en même temps que la lésion : deux heures avant ou après, et l’efficacité baisse de 50%.
Deux approches pour guérir une lésion de la moelle épinière
Au milieu de ce tintamarre médiatique, un article de Science publié vendredi est passé inaperçu (Hammarlund et al, "Science Express Reports") une référence seulement sur le web francophone…). Il est pourtant très intéressant puisqu’il s’agit de régénération de cellules nerveuses. Il est bien connu que ces cellules repoussent très mal dans le système nerveux central (cerveau et moelle épinière). C’est pour ça qu’une section de la moelle épinière est en général inguérissable : les neurones ne se régénèrent pas.
Il y a deux approches pour traiter ce genre de lésion : soit injecter des neurones sains, ce qui est l’option prise dans l’essai clinique évoqué plus haut, soit induire la guérison par une réparation spontanée de la lésion en provoquant une régénération nerveuse.
La régénération des neurones sera-t-elle un jour possible ?
On est bien loin d’un modèle humain encore puisque l’étude dont je vais parler a été réalisée chez un petit vers de terre, Cænorhabditis elegans. Ce dernier est un des organismes modèles les plus étudiés dans les laboratoires. Des chercheurs de l’université d’Utah aux États-Unis ont pu démontrer que la protéine DLK-1 est essentielle pour la régénération, grâce à des expériences impliquant la lésion de neurones avec un laser et la suppression de l’activité de DLK-1 : dans ce cas, les neurones étaient incapables de repousser. D’autre part, la surexpression de DLK-1 pouvait stimuler la croissance des neurones. DLK-1 intervient dans une voie "MAP kinase" comprenant également MKK-4 et PMK-3. Ces protéines, essentielles pour la régénération de neurones chez ce petit vers, sont conservées chez l’homme. Cela ouvre donc la voie à une possible régénération de neurones chez l’homme, en activant cette voie MAP kinase, et en particulier DLK-1.
Stimulation ou répression ?
Aujourd’hui, nos connaissances sur la régénération des neurones concerne le blocage de système inhibiteurs empêchant la croissance (deux articles de novembre 2008 dans Science : Atwal et al, 322, 967 ; Park et al, 322, 963). Cette étude est la première à identifier un facteur stimulant cette croissance. Reste à démontrer que cette protéine a la même fonction chez l’homme. Et à apprendre à maîtriser une éventuelle activation de cette voie car chez le vers, la stimulation de cette protéine doit avoir lieu en même temps que la lésion : deux heures avant ou après, et l’efficacité baisse de 50%.
jeudi 22 janvier 2009
Comment se fait la reprogrammation en cellules iPS ?
De nombreuses confirmations sont venues étayer l'article original de Yamanaka sur la reprogrammation de cellules adultes en cellules iPS paru en 2006. Mais ce qui reste complètement inconnu à l'heure actuelle, c'est le mécanisme de la reprogrammation après introduction de quatre facteurs de transcriptions : Oct4, Sox2, Klf4, et c-Myc.
Dans une étude pionnière publiée aujourd'hui dans Cell, un laboratoire américain lève un coin du voile, en comparant des cellules partiellement ou complètement reprogrammées et des cellules souches embryonnaires, le tout chez la souris. Ils ont ainsi pu mettre en évidence le rôle déterminant de c-Myc, avant que les trois autres n'interviennent.
Comprendre précisément le processus de reprogrammation est essentiel si on veut améliorer cette technique. Grâce à cet article, on commence à décrypter la boîte noire.
Dans une étude pionnière publiée aujourd'hui dans Cell, un laboratoire américain lève un coin du voile, en comparant des cellules partiellement ou complètement reprogrammées et des cellules souches embryonnaires, le tout chez la souris. Ils ont ainsi pu mettre en évidence le rôle déterminant de c-Myc, avant que les trois autres n'interviennent.
Comprendre précisément le processus de reprogrammation est essentiel si on veut améliorer cette technique. Grâce à cet article, on commence à décrypter la boîte noire.
Le bousier et le mille-pattes
La BBC s'est fait l'écho dernièrement d'une étonnante histoire naturelle. Le héros de cette découverte est un bousier connu sous le nom de Deltochilum valgum. Les bousiers sont des insectes qui se nourrissent d'excréments avec lesquels ils forment des boules plus grosses qu'eux qu'ils peuvent ensuite faire rouler avec leurs pattes postérieures jusqu'à un endroit propice au festin.
Mais Deltochilum valgum est différent. Bien que tout à fait similaire aux autres bousiers, il préfère de très loin les... mille pattes ! Le Dr Trond Larsen de l'université de Princeton a réussi à filmer à plusieurs reprises des attaques de mille-pattes par des bousiers Deltochilum valgum grâce à une caméra infra-rouge ; ce bousier utilise notamment ses pattes postérieures pour immobiliser sa proie, au lieu de faire rouler des boules d'excréments. Larsen a même pu démontrer qu'il préfère les mille-pattes vivants mais affaiblis aux excréments et autres fruits pourris également proposés dans des pièges placés en pleine forêt péruvienne.
Un exemple d'adaptation
Si je vous raconte cette étonnante observation, ce n'est pas juste pour l'amusement, mais aussi pour illustrer comment une espèce animale peut ressembler énormément à d'autres, et donc sans doute être proche des autres espèces en terme d'évolution, tout en ayant changé radicalement son comportement nutritionel. C'est en effet une chose de se nourrir d'excréments et de pourriture, et une tout autre affaire de devenir tueur et carnivore. Cela pourrait donc représenter un joli exemple d'adaptation. Il sera intéressant de savoir s'il existe d'autres espèces de bousiers étant devenus carnivores ; d'autre part il faudra faire une étude comparative des génomes de bousiers pour savoir si Deltochilum valgum a émergé récemment et si ce changement de comportement est dû à des changements génétiques, afin d'identifier la nature de ces changements.
À moins que...
Tout ceci est bel et bien. Mais comme le fait observer Armin Moczek de l'université d'Indiana, un mille-pattes se nourrit de plantes en décomposition ; son tube digestif est donc rempli d'excréments (Science news). Au final, Deltochilum valgum pourrait n'avoir rien changé à son alimentation mais apprécier davantage la saveur de ce qu'il trouve dans le tube digestif du mille-pattes.
mercredi 14 janvier 2009
Les hybrides sont KO
Le Royaume-Uni est un des seuls endroits sur la planète où il est légal de créer des embryons hybrides, ou chimères, en introduisant de l'ADN humain dans des oocytes d'animaux. L'argument essentiel est qu'on peut ainsi éviter d'avoir à recourir à des oocytes humains, mais bien évidemment cette technique pose des problèmes éthiques indubitables. Trois équipes ont reçu l'autorisation de réaliser de tels hybrides de la part de la Human Fertilisation and Embryology Authority et les embryons doivent être détruits après 14 jours.
Coup de théâtre
Hier il a été révélé par l'Independent que deux de ces trois équipes se sont vues refuser leurs demandes de financement, l'une par le Medical Research Council (MRC), et l'autre par le Biotechnology and Biological Sciences Research Council (BBSRC). La troisième équipe n'a pas encore formulé sa demande.
Après une bataille interminable jusqu'au Parlement, voilà que cette technique qui était présentée comme absolument nécessaire se retrouve autorisée mais non financée.
Les politiques s'en mêlent
Cette annonce a fait scandale, et le MRC et le BBSRC sont sommés de s'expliquer le jour même, notamment via un éditorial de l'Independent qui va plus loin et suggère que ces deux organismes ont fait un choix éthique et non scientifique. Mais ceux-ci refusent, considérant que ces demandes sont passées par le système habituel de l'évaluation par les pairs (système de "peer review" qui vaut aussi bien pour les articles à publier que pour les demandes d'argent), et qu'il n'y a donc rien à justifier (voir la réponse du MRC). Et ils insistent sur le fait que seuls des critères scientifiques ont été utilisés pour rejeter ces demandes.
Aujourd'hui l'Independent nous annonce dans un nouvel article que le Parlement va lancer une enquête et interroger le MRC et le BBSRC, qui continuent à ce jour à se retrancher derrière le système du "peer review". Et ce à très juste titre ! Aucun journal scientifique et aucun organisme de financement qui se respectent ne rendent publiques les évaluations faites ; on ne sait pas par exemple qui a validé le fameux article du coréen Hwang Woo-Suk dans le journal Science qui s'est révélé un montage complet. Les politiques n'ont donc rien à voir dans cette histoire. Après tout, les parlementaires scandalisés cités par l'Independent sont sans doute très critiques sur les interventions de Bush en matière scientifique, notamment sur son veto contre les cellules souches embryonnaires humaines. Leur travail est en amont, pour la validation ou l'interdiction de techniques, mais ils n'ont rien à faire dans l'évaluation d'une demande de financement.
La reprogrammation rend les embryons hybrides inutiles
La question reste cependant entière : pourquoi ces deux équipes ont-elles vues leurs demandes de financement refusées ? La réponse est simple : entre temps la reprogrammation en cellules iPS a rendu cette solution des embryons hybrides obsolète. Inutile en effet de faire cela si on peut obtenir le même résultat avec n'importe quelle cellule humaine en la reprogrammant. Et ce n'est pas seulement moi qui le dit, mais le Guardian qui titrait hier : "Rival stem cell technique takes the heat out of hybrid embryo debate". Contrairement à l'Independent dont l'indignation paraît bien naïve (ou purement idéologique), le Guardian conclut immédiatement que c'est la reprogrammation qui a rendu les embryons hybrides inutiles. Voici le paragraphe : "Since the furore broke, however, scientists have developed a cheap and powerful new technique in which adult skin cells are reprogrammed to create cells that are almost identical to stem cells. Researchers have already used the technique to make so-called induced pluripotent stem (iPS) cells for patients with diabetes, muscular dystrophy and Down's syndrome. The work was named scientific breakthrough of the year by the prestigious US journal Science last year."
La décision est donc purement scientifique, basée sur le fait qu'il existe une technique plus efficace. C'est important, car l'année dernière le même le MRC se faisait l'avocat des embryons hybrides. Un an plus tard, sur les seuls critères scientifiques, le MRC préfère la reprogrammation... On aimerait bien sûr que des organismes comme le MRC comprennent les objections éthiques à certaines recherches, mais dans ce cas précis, on doit se féliciter du résultat. Soit dit en passant cela démontre que les scientifiques ne cherchent pas à tout prix à transgresser ; ils utilisent simplement la technique la plus prometteuse à un moment donné.
Note à l'usage du lecteur peu familier avec les journaux britanniques : l'Independent correspond plus ou moins au Monde, et le Guardian à Libération.
Ajout du 15/01
Le Guardian notait de plus que les fonds dont dispose le MRC pour toute la recherche sur les cellules souches a augmenté, passant de 23,6 millions de livres en 2006/2007 à 25,5 millions l'année dernière. Dans le même temps, la proportion de cette somme consacrée aux cellules souches adultes, y compris les cellules reprogrammées (cellules iPS), a bondi de 46% à 61,3%. Ce qui signifie que le pourcentage consacré aux hybrides et aux cellules souches embryonnaires a chuté en conséquence.
Hier, un blog de Nature signalait que l'Independent avait mal interprété les propos de Stephen Minger, l'un des deux chefs d'équipe ayant déposé une demande de financement pour travailler sur les embryons hybrides. L'Independent lui faisait dire que sa demande pourrait avoir été refusée pour des raisons éthiques. Ce qu'il nie "I was not saying that religious or moral opposition to the proposal led to its rejection". Les commentaires accompagnant le refus du MRC contenaient une critique sévère de sa proposition de recherche ("the comments he received from the Medical Research Council regarding its decision on his application were very critical of his proposed science plan") et le MRC ne lui a même pas suggéré de redéposer une demande améliorée, ce qui correspondrait à un classement sur liste complémentaire.
Coup de théâtre
Hier il a été révélé par l'Independent que deux de ces trois équipes se sont vues refuser leurs demandes de financement, l'une par le Medical Research Council (MRC), et l'autre par le Biotechnology and Biological Sciences Research Council (BBSRC). La troisième équipe n'a pas encore formulé sa demande.
Après une bataille interminable jusqu'au Parlement, voilà que cette technique qui était présentée comme absolument nécessaire se retrouve autorisée mais non financée.
Les politiques s'en mêlent
Cette annonce a fait scandale, et le MRC et le BBSRC sont sommés de s'expliquer le jour même, notamment via un éditorial de l'Independent qui va plus loin et suggère que ces deux organismes ont fait un choix éthique et non scientifique. Mais ceux-ci refusent, considérant que ces demandes sont passées par le système habituel de l'évaluation par les pairs (système de "peer review" qui vaut aussi bien pour les articles à publier que pour les demandes d'argent), et qu'il n'y a donc rien à justifier (voir la réponse du MRC). Et ils insistent sur le fait que seuls des critères scientifiques ont été utilisés pour rejeter ces demandes.
Aujourd'hui l'Independent nous annonce dans un nouvel article que le Parlement va lancer une enquête et interroger le MRC et le BBSRC, qui continuent à ce jour à se retrancher derrière le système du "peer review". Et ce à très juste titre ! Aucun journal scientifique et aucun organisme de financement qui se respectent ne rendent publiques les évaluations faites ; on ne sait pas par exemple qui a validé le fameux article du coréen Hwang Woo-Suk dans le journal Science qui s'est révélé un montage complet. Les politiques n'ont donc rien à voir dans cette histoire. Après tout, les parlementaires scandalisés cités par l'Independent sont sans doute très critiques sur les interventions de Bush en matière scientifique, notamment sur son veto contre les cellules souches embryonnaires humaines. Leur travail est en amont, pour la validation ou l'interdiction de techniques, mais ils n'ont rien à faire dans l'évaluation d'une demande de financement.
La reprogrammation rend les embryons hybrides inutiles
La question reste cependant entière : pourquoi ces deux équipes ont-elles vues leurs demandes de financement refusées ? La réponse est simple : entre temps la reprogrammation en cellules iPS a rendu cette solution des embryons hybrides obsolète. Inutile en effet de faire cela si on peut obtenir le même résultat avec n'importe quelle cellule humaine en la reprogrammant. Et ce n'est pas seulement moi qui le dit, mais le Guardian qui titrait hier : "Rival stem cell technique takes the heat out of hybrid embryo debate". Contrairement à l'Independent dont l'indignation paraît bien naïve (ou purement idéologique), le Guardian conclut immédiatement que c'est la reprogrammation qui a rendu les embryons hybrides inutiles. Voici le paragraphe : "Since the furore broke, however, scientists have developed a cheap and powerful new technique in which adult skin cells are reprogrammed to create cells that are almost identical to stem cells. Researchers have already used the technique to make so-called induced pluripotent stem (iPS) cells for patients with diabetes, muscular dystrophy and Down's syndrome. The work was named scientific breakthrough of the year by the prestigious US journal Science last year."
La décision est donc purement scientifique, basée sur le fait qu'il existe une technique plus efficace. C'est important, car l'année dernière le même le MRC se faisait l'avocat des embryons hybrides. Un an plus tard, sur les seuls critères scientifiques, le MRC préfère la reprogrammation... On aimerait bien sûr que des organismes comme le MRC comprennent les objections éthiques à certaines recherches, mais dans ce cas précis, on doit se féliciter du résultat. Soit dit en passant cela démontre que les scientifiques ne cherchent pas à tout prix à transgresser ; ils utilisent simplement la technique la plus prometteuse à un moment donné.
Note à l'usage du lecteur peu familier avec les journaux britanniques : l'Independent correspond plus ou moins au Monde, et le Guardian à Libération.
Ajout du 15/01
Le Guardian notait de plus que les fonds dont dispose le MRC pour toute la recherche sur les cellules souches a augmenté, passant de 23,6 millions de livres en 2006/2007 à 25,5 millions l'année dernière. Dans le même temps, la proportion de cette somme consacrée aux cellules souches adultes, y compris les cellules reprogrammées (cellules iPS), a bondi de 46% à 61,3%. Ce qui signifie que le pourcentage consacré aux hybrides et aux cellules souches embryonnaires a chuté en conséquence.
Hier, un blog de Nature signalait que l'Independent avait mal interprété les propos de Stephen Minger, l'un des deux chefs d'équipe ayant déposé une demande de financement pour travailler sur les embryons hybrides. L'Independent lui faisait dire que sa demande pourrait avoir été refusée pour des raisons éthiques. Ce qu'il nie "I was not saying that religious or moral opposition to the proposal led to its rejection". Les commentaires accompagnant le refus du MRC contenaient une critique sévère de sa proposition de recherche ("the comments he received from the Medical Research Council regarding its decision on his application were very critical of his proposed science plan") et le MRC ne lui a même pas suggéré de redéposer une demande améliorée, ce qui correspondrait à un classement sur liste complémentaire.
Les cellules souches embryonnaires à quitte ou double
Un article du Chicago Tribune nous annonce les prochaines essais cliniques de la société Geron Corp. Ils ont un caractère particulier car ce sont les premiers essais cliniques pour une molécule issue de la recherche sur les cellules souches embryonnaires (CSE). Il s'agit ici non pas d'utiliser des CSE directement dans des patients, mais de tester plus avant une molécule qui est issue d'un crible réalisé sur des CSE. D'après cet article, si l'essai est fructueux cela ouvrira la porte à d'autres très nombreux essais. En revanche s'il est négatif, l'effet sera tout aussi important mais dans l'autre sens. Le but de Geron est de guérir des atteintes de la moelle épinière en utilisant une molécule testée sur des CSE.
Pour le moment, Geron attend le feu vert de la Food and Drug Administration qui a reçu 22.500 pages de documents rien que pour cet essai. Si la FDA donne son accord, il devrait s'écouler encore au moins 5 ans avant de voir la molécule en question sur le marché.
Dans ce cas particulier, il est vraisemblable que des cellules iPS reprogrammées auraient tout aussi bien faire l'affaire, puisqu'il s'agit seulement de cribler des molécules sur des cellules souches. Ce sera autre chose le jour où des CSE seront utilisées directement chez des patients comme les cellules souches adultes ou de sang de cordon le sont déjà. Pour le moment, on en est encore loin.
Pour le moment, Geron attend le feu vert de la Food and Drug Administration qui a reçu 22.500 pages de documents rien que pour cet essai. Si la FDA donne son accord, il devrait s'écouler encore au moins 5 ans avant de voir la molécule en question sur le marché.
Dans ce cas particulier, il est vraisemblable que des cellules iPS reprogrammées auraient tout aussi bien faire l'affaire, puisqu'il s'agit seulement de cribler des molécules sur des cellules souches. Ce sera autre chose le jour où des CSE seront utilisées directement chez des patients comme les cellules souches adultes ou de sang de cordon le sont déjà. Pour le moment, on en est encore loin.
jeudi 8 janvier 2009
L'ARN qui se reproduit lui-même : création de la vie en laboratoire ?
Le monde fascinant de l'ARN l'est devenu encore plus. Un article publié aujourd'hui par la revue Science démontre pour la première fois la capacité de l'ARN à s'autorépliquer indéfiniment tout en mutant. On savait déjà que l'ARN pouvait stocker de l'information, tout comme l'ADN, et qu'il pouvait être un catalyseur, tout comme les enzymes protéiques (les ribozymes qui ont valu un prix Nobel de chimie à Altman et Cech en 1989). Ce qui manquait encore pour en faire une molécule vraiment unique, c'était une capacité à se multiplier sans fin. De plus, les auteurs de l'article démontrent que ces molécules peuvent muter et transmettre leurs mutations à leur descendance. En bref, on a la dernière pierre qui manquait à l'édifice du monde ARN primitif.
En effet de nombreux spécialistes de l'apparition de la vie sur terre considèrent que l'ARN est la molécule qui pourrait être à l'origine de tout. Comme je l'ai dit plus haut, elle a en effet de nombreuses caractéristiques du vivant : elle stocke une information et elle catalyse des réactions. On sait désormais qu'elle peut se multiplier de façon efficace tout en mutant. On a donc là un très bon candidat pour l'apparition du vivant. Cependant, ces molécules ne peuvent acquérir de nouvelles fonctions : elles peuvent juste s'auto-répliquer indéfiniment.
Future controverse ?
L'un des auteurs, Gerald Joyce, est cité dans un commentaire de Nature : "The goal here is to make life in the lab, and we have not achieved that, because the system does not within itself have the ability to present novel functions. But ultimately, that's where we want to go". ("Le but ici d'est de créer la vie en laboratoire, et nous n'avons pas fait cela car le système ne peut pas de lui-même acquérir de nouvelles fonctions. Mais c'est ce que nous voulons réaliser").
On a donc deux approches bien distinctes pour recréer la vie en laboratoire ; la première est celle de Geral Joyce qui cherche à mettre en place un système aussi simple que possible. L'autre est celle de Craig Venter qui voudrait directement créer une bactérie de toute pièce. Dans un cas comme dans l'autre on est encore loin de la "création de la vie en laboratoire". Cependant, on se rapproche inéluctablement d'un tel résultat. Certains nous objecteront que c'est philosophiquement impossible, et d'autres qu'on verra bien les scientifiques y arriver. Cela sera-t-il réalisé un jour ? Il est impossible de répondre par oui ou par non, mais le oui, encore impensable il y a 20 ans, devient envisageable...
En effet de nombreux spécialistes de l'apparition de la vie sur terre considèrent que l'ARN est la molécule qui pourrait être à l'origine de tout. Comme je l'ai dit plus haut, elle a en effet de nombreuses caractéristiques du vivant : elle stocke une information et elle catalyse des réactions. On sait désormais qu'elle peut se multiplier de façon efficace tout en mutant. On a donc là un très bon candidat pour l'apparition du vivant. Cependant, ces molécules ne peuvent acquérir de nouvelles fonctions : elles peuvent juste s'auto-répliquer indéfiniment.
Future controverse ?
L'un des auteurs, Gerald Joyce, est cité dans un commentaire de Nature : "The goal here is to make life in the lab, and we have not achieved that, because the system does not within itself have the ability to present novel functions. But ultimately, that's where we want to go". ("Le but ici d'est de créer la vie en laboratoire, et nous n'avons pas fait cela car le système ne peut pas de lui-même acquérir de nouvelles fonctions. Mais c'est ce que nous voulons réaliser").
On a donc deux approches bien distinctes pour recréer la vie en laboratoire ; la première est celle de Geral Joyce qui cherche à mettre en place un système aussi simple que possible. L'autre est celle de Craig Venter qui voudrait directement créer une bactérie de toute pièce. Dans un cas comme dans l'autre on est encore loin de la "création de la vie en laboratoire". Cependant, on se rapproche inéluctablement d'un tel résultat. Certains nous objecteront que c'est philosophiquement impossible, et d'autres qu'on verra bien les scientifiques y arriver. Cela sera-t-il réalisé un jour ? Il est impossible de répondre par oui ou par non, mais le oui, encore impensable il y a 20 ans, devient envisageable...
La pilule qui ne passe pas
L’Osservatore Romano a publié il y a quelques jours un article résumant un rapport de la Fédération internationale des associations de médecins catholiques, Pedro José Maria Simon Castellvi. Ce rapport que pour le moment fort peu de gens ont lu n’est malheureusement toujours pas publié à ma connaissance, ce qui est bien dommage. Il dénonce l’effet polluant de la pilule contraceptive, mettant en cause le relargage des hormones qu’elle contient dans la nature. Pour faire court, un cycle serait : pilule contraceptive avalée – excrétion – eaux usées puis traitées – lacs et rivières – eau buvable du robinet. D’après une dépêche de l’AFP, le rapport entend montrer ainsi que la pilule pourrait être directement responsable de la stérilité masculine par l’absorption d’hormones féminisantes.
Je vais examiner les deux principales conclusions qu’évoque la dépêche pour voir ce que l’on peut en dire.
La première conclusion est que la pilule "a depuis des années des effets dévastateurs sur l'environnement en relâchant des tonnes d'hormones dans la nature". Il est connu depuis longtemps que les poissons vivant dans des zones recevant des eaux usées mêmes traitées ont des problèmes de reproduction, et que les mâles se transforment au moins partiellement en femelles. Ce qui reste à démontrer, c’est que la pilule contraceptive est responsable de cet effet. Il y en effet quantité de molécules qui ressemblent aux hormones utilisées dans les pilules et peuvent avoir les mêmes effets, sans avoir rien à voir avec la pilule. Un exemple récent est la question soulevée par le bisphénol A, un œstrogène synthétique : cette molécule est utilisée dans de très nombreuses bouteilles en plastiques, y compris les biberons, et aurait de nombreux effets néfastes sur la santé, pouvant induire notamment une féminisation chez les amphibiens (1).
Qu’en est-il de l’effet des hormones contenues dans la pilule ? Un article de la revue de l’Académie américaine des Sciences (PNAS) de 2007 démontre l’effet dévastateur du 17-alpha ethynylestradiol (17-EE), un œstrogène synthétique utilisé dans la pilule contraceptive, sur une population de poissons dans un lac canadien (2). Ce lac expérimental, appelé lac 260, a été volontairement pollué au 17-EE par les chercheurs avec des doses (5 ng par litre) que l’on retrouve classiquement dans les eaux même loin des zones de pollution. Ils ont ensuite suivi pendant 7 années le devenir d’une espèce de poissons dont le cycle de développement est de deux ans, ce qui a permis de suivre les effets de cette molécule sur plusieurs générations. Ce poisson est le Pimephales promelas, que les auteurs considèrent comme l’équivalent du « canari des mineurs » et qui est souvent utilisé dans les expériences de toxicité. Comme contrôle, la même espèce de poisson a été suivie dans deux lacs artificiels non pollués. Le résultat est sans appel : les poissons mâles du lac 260 sont féminisés et contiennent notamment des oocytes en cours de formation dans leurs testicules. Ceci a eu un effet dramatique sur la population de cette espèce de poisson : après seulement deux années de pollution volontaire, la population avait diminuée de façon dramatique, et ce poisson a quasiment disparu du lac 260 après trois ans. Les auteurs concluent que les rejets des eaux usées avec un très faible taux de 17-EE peut diminuer la capacité de reproduction des poissons.
La première conclusion est donc partiellement validée par un article publié dans une très bonne revue, et de très nombreux articles dans des revues moins prestigieuses. À ceci près que la 17-EE est l’hormone contenue dans la pilule, mais pas ce qui est métabolisé et retrouvé dans l’urine après différentes modifications (hydroxylation méthylation etc.). Rien ne démontre que les molécules issues du métabolisme de la 17-EE aient une action sur les mêmes poissons.
La deuxième conclusion évoquée par cette dépêche est la suivante : « Nous avons suffisamment de données pour affirmer qu'une cause non négligeable de l'infertilité masculine (marquée par une baisse constante du nombre de spermatozoïdes chez l'homme) en Occident est la pollution environnementale provoquée par la pilule ». Cette conclusion est beaucoup plus problématique car à ma connaissance, aucune étude sérieuse ne s’est penché sur la question. Il faut en effet supposer a) que les eaux traitées contiennent toujours des doses dangereuses d’hormones, b) que ces molécules modifiées aient un effet chez l’homme, c) que cet effet puisse être attribué directement à ces hormones modifiées et non à toutes les autres sources de pollution. Tout dépend notamment du traitement des eaux usées ; certains disent que ces traitements ne sont pas suffisants (2 et références citées dans cet article), d’autres qu’il ne reste plus que des traces. En France par exemple, cette hormone est restée indétectable dans la Seine, l’Oise et la Marne (3). Quant aux autres points évoqués, il est à l’heure actuelle impossible à ma connaissance de savoir ce qu’il en est.
Pour conclure, il y a un effet indéniable sur les poissons dans leur environnement naturel (pas seulement en laboratoire) avec des doses très faibles d’un des œstrogènes synthétiques les plus utilisés dans les pilules contraceptives. Mais on ne connaît pas l’effet des métabolites de cette molécule. Cependant bien sûr, le principe de précaution cher aux écologistes pourrait s’appliquer. En tout cas, si vous avez décidé d’acheter des biberons sans bisphénol A, pour être logique vous devriez aussi faire très attention à la qualité de l’eau que vous mettez dedans…
Mon impression : une controverse inutile car les arguments scientifiques sont encore trop faibles à l’heure actuelle pour faire un lien entre la pilule et la stérilité masculine. L’avenir dira peut-être que ce rapport était prophétique, mais dans l’état actuel des choses, le résultat est une volée de bois vert des médias et des scientifiques qu’il n’était pas indispensable de provoquer ; on en profite d’ailleurs pour mélanger allègrement le rapport d’une association de médecins, le Vatican et Benoît XVI.
Pour ce qui est des catholiques, je me demande bien ce que cela peut apporter à Humanæ vitæ…
Références :
1) Levy G, Lutz I, Krüger A, Kloas W (2004). Bisphenol A induces feminization in Xenopus laevis tadpoles. Environ Res. 94 102-11.
2) Kidd KA, Blanchfield PJ, Mills KH, Palace VP, Evans RE, Lazorchak JM, Flick RW (2007) Collapse of a fish population after exposure to a synthetic estrogen. PNAS 104 8897-901.
3) http://www.eau-seine-normandie.fr/fileadmin/mediatheque/Expert/Etudes_et_Syntheses/etude_2008/Guide_toxique/Guide_pharma.pdf
Un autre exemple :
Ueda N, Partridge C, Bolland J, Hemming J, Sherman T, Boettcher A (2005). Effects of an environmental estrogen on male gulf pipefish, Syngnathus scovelli (Evermann and Kendall), a male brooding teleost. Bull Environ Contam Toxicol. 74 1207-12.
Merci au blog de Tom Roud dont j’ai tiré la référence 3.
Je vais examiner les deux principales conclusions qu’évoque la dépêche pour voir ce que l’on peut en dire.
La première conclusion est que la pilule "a depuis des années des effets dévastateurs sur l'environnement en relâchant des tonnes d'hormones dans la nature". Il est connu depuis longtemps que les poissons vivant dans des zones recevant des eaux usées mêmes traitées ont des problèmes de reproduction, et que les mâles se transforment au moins partiellement en femelles. Ce qui reste à démontrer, c’est que la pilule contraceptive est responsable de cet effet. Il y en effet quantité de molécules qui ressemblent aux hormones utilisées dans les pilules et peuvent avoir les mêmes effets, sans avoir rien à voir avec la pilule. Un exemple récent est la question soulevée par le bisphénol A, un œstrogène synthétique : cette molécule est utilisée dans de très nombreuses bouteilles en plastiques, y compris les biberons, et aurait de nombreux effets néfastes sur la santé, pouvant induire notamment une féminisation chez les amphibiens (1).
Qu’en est-il de l’effet des hormones contenues dans la pilule ? Un article de la revue de l’Académie américaine des Sciences (PNAS) de 2007 démontre l’effet dévastateur du 17-alpha ethynylestradiol (17-EE), un œstrogène synthétique utilisé dans la pilule contraceptive, sur une population de poissons dans un lac canadien (2). Ce lac expérimental, appelé lac 260, a été volontairement pollué au 17-EE par les chercheurs avec des doses (5 ng par litre) que l’on retrouve classiquement dans les eaux même loin des zones de pollution. Ils ont ensuite suivi pendant 7 années le devenir d’une espèce de poissons dont le cycle de développement est de deux ans, ce qui a permis de suivre les effets de cette molécule sur plusieurs générations. Ce poisson est le Pimephales promelas, que les auteurs considèrent comme l’équivalent du « canari des mineurs » et qui est souvent utilisé dans les expériences de toxicité. Comme contrôle, la même espèce de poisson a été suivie dans deux lacs artificiels non pollués. Le résultat est sans appel : les poissons mâles du lac 260 sont féminisés et contiennent notamment des oocytes en cours de formation dans leurs testicules. Ceci a eu un effet dramatique sur la population de cette espèce de poisson : après seulement deux années de pollution volontaire, la population avait diminuée de façon dramatique, et ce poisson a quasiment disparu du lac 260 après trois ans. Les auteurs concluent que les rejets des eaux usées avec un très faible taux de 17-EE peut diminuer la capacité de reproduction des poissons.
La première conclusion est donc partiellement validée par un article publié dans une très bonne revue, et de très nombreux articles dans des revues moins prestigieuses. À ceci près que la 17-EE est l’hormone contenue dans la pilule, mais pas ce qui est métabolisé et retrouvé dans l’urine après différentes modifications (hydroxylation méthylation etc.). Rien ne démontre que les molécules issues du métabolisme de la 17-EE aient une action sur les mêmes poissons.
La deuxième conclusion évoquée par cette dépêche est la suivante : « Nous avons suffisamment de données pour affirmer qu'une cause non négligeable de l'infertilité masculine (marquée par une baisse constante du nombre de spermatozoïdes chez l'homme) en Occident est la pollution environnementale provoquée par la pilule ». Cette conclusion est beaucoup plus problématique car à ma connaissance, aucune étude sérieuse ne s’est penché sur la question. Il faut en effet supposer a) que les eaux traitées contiennent toujours des doses dangereuses d’hormones, b) que ces molécules modifiées aient un effet chez l’homme, c) que cet effet puisse être attribué directement à ces hormones modifiées et non à toutes les autres sources de pollution. Tout dépend notamment du traitement des eaux usées ; certains disent que ces traitements ne sont pas suffisants (2 et références citées dans cet article), d’autres qu’il ne reste plus que des traces. En France par exemple, cette hormone est restée indétectable dans la Seine, l’Oise et la Marne (3). Quant aux autres points évoqués, il est à l’heure actuelle impossible à ma connaissance de savoir ce qu’il en est.
Pour conclure, il y a un effet indéniable sur les poissons dans leur environnement naturel (pas seulement en laboratoire) avec des doses très faibles d’un des œstrogènes synthétiques les plus utilisés dans les pilules contraceptives. Mais on ne connaît pas l’effet des métabolites de cette molécule. Cependant bien sûr, le principe de précaution cher aux écologistes pourrait s’appliquer. En tout cas, si vous avez décidé d’acheter des biberons sans bisphénol A, pour être logique vous devriez aussi faire très attention à la qualité de l’eau que vous mettez dedans…
Mon impression : une controverse inutile car les arguments scientifiques sont encore trop faibles à l’heure actuelle pour faire un lien entre la pilule et la stérilité masculine. L’avenir dira peut-être que ce rapport était prophétique, mais dans l’état actuel des choses, le résultat est une volée de bois vert des médias et des scientifiques qu’il n’était pas indispensable de provoquer ; on en profite d’ailleurs pour mélanger allègrement le rapport d’une association de médecins, le Vatican et Benoît XVI.
Pour ce qui est des catholiques, je me demande bien ce que cela peut apporter à Humanæ vitæ…
Références :
1) Levy G, Lutz I, Krüger A, Kloas W (2004). Bisphenol A induces feminization in Xenopus laevis tadpoles. Environ Res. 94 102-11.
2) Kidd KA, Blanchfield PJ, Mills KH, Palace VP, Evans RE, Lazorchak JM, Flick RW (2007) Collapse of a fish population after exposure to a synthetic estrogen. PNAS 104 8897-901.
3) http://www.eau-seine-normandie.fr/fileadmin/mediatheque/Expert/Etudes_et_Syntheses/etude_2008/Guide_toxique/Guide_pharma.pdf
Un autre exemple :
Ueda N, Partridge C, Bolland J, Hemming J, Sherman T, Boettcher A (2005). Effects of an environmental estrogen on male gulf pipefish, Syngnathus scovelli (Evermann and Kendall), a male brooding teleost. Bull Environ Contam Toxicol. 74 1207-12.
Merci au blog de Tom Roud dont j’ai tiré la référence 3.
vendredi 2 janvier 2009
La ligne du temps de la reprogrammation
Merci au blog The Niche pour ce résumé :
- Les cellules de souris ont été reprogrammées en 2006, 25 ans après l'isolement de cellules souches embryonnaires murines.
- Les cellules humaines ont été reprogrammées en 2007, 9 ans après l'isolement de cellules souches embryonnaires humaines.
- Les cellules de rat ont été reprogrammées en 2008, quelques semaines avant l'isolement de cellules souches embryonnaires de rat (qui a été publié pendant les vacances, d'où le silence de mon blog sur ce sujet).
Vous l'aurez compris, la reprogrammation, c'est plus rapide et plus efficace... En tout cas, il est infiniment plus simple de transposer cette technique d'une espèce à l'autre que celle consistant à isoler des cellules souches embryonnaires.
- Les cellules de souris ont été reprogrammées en 2006, 25 ans après l'isolement de cellules souches embryonnaires murines.
- Les cellules humaines ont été reprogrammées en 2007, 9 ans après l'isolement de cellules souches embryonnaires humaines.
- Les cellules de rat ont été reprogrammées en 2008, quelques semaines avant l'isolement de cellules souches embryonnaires de rat (qui a été publié pendant les vacances, d'où le silence de mon blog sur ce sujet).
Vous l'aurez compris, la reprogrammation, c'est plus rapide et plus efficace... En tout cas, il est infiniment plus simple de transposer cette technique d'une espèce à l'autre que celle consistant à isoler des cellules souches embryonnaires.
jeudi 1 janvier 2009
Elysia chlorotica, une étonnante bestiole à la fois animal et végétal
Pour bien commencer l'année, voici un animal qui fait de la photosynthèse. Impossible me direz-vous, vous rappelant vos cours de lycée : chacun sait que la photosynthèse est l'apanage des plantes.
Et pourtant, une étrange limace de mer répondant au doux nom d'Elysia chlorotica a été découverte en 2008 : elle se nourrit d'algues puis stocke leurs chloroplastes dans ses cellules intestinales et peut alors vivre plusieurs mois à l'énergie solaire... C'est un cas très particulier car si d'autres animaux peuvent faire de la photosynthèse, c'est en incorporant des cellules végétales complètes, pas juste en se servant des chloroplastes.
Mais ce n'est pas tout : les chercheurs étudiant cette limace ont découvert qu'au moins un gène de l'algue peut être intégré dans le génome nucléaire de la limace, ce qui expliquerait que la photosynthèse puisse avoir lieu même après plusieurs mois ; il manque en effet des gènes nucléaires, en plus de ceux portés par les chloroplastes, pour qu'une limace, ou tout autre animal, puisse faire de la photosynthèse. Il s'agit donc d'un cas original de transfert horizontal de gène entre deux espèce aussi distinctes que possible : un animal et une algue.
Une démonstration de "bricolage évolutif" ?
Comme ce gène est transmis dans la lignée germinale, donc aux descendants, qui sait si cette étrange bestiole ne sera pas considérée dans quelques milliers d'années comme le précurseur d'un nouveau règne du monde vivant ayant des caractéristiques d'animaux et de végétaux ? Ce pourrait être en tout cas un excellent exemple d'évolution en train d'arriver : il est bien possible que cette limace devienne un jour une espèce animale pouvant faire de la photosynthèse sans avoir à manger des algues, en "apprenant" à conserver et transmettre ses chloroplastes. Et un hybride animal-végétal, c'est de la macro-évolution comme on a de la peine à imaginer que cela soit possible...
Source : Rumpho et al, 2008, PNAS, 105, 17867-17871
Inscription à :
Articles (Atom)