mercredi 6 janvier 2010

Plaidoyer pour les familles nombreuses

Avertissement : une fois n’est pas coutume, ce billet est assez personnel. Il n’a aucune prétention autre que de tordre le cou à l’idée que les familles nombreuses sont forcément mauvaises pour l’environnement. Le tout avec une partialité assumée qui n'a d'égale que celle d'Yves Cochet.


Yves Cochet a récemment déclaré que pour sauver la planète il faudrait faire la « grève du troisième ventre ». Qu'en termes élégants ces choses là sont dites ! Mais cette idée est bien vieille. On pense bien entendu à Malthus et ses théories sur les ressources qui ne font que s’additionner quand les personnes se multiplient. À l’occasion de la conférence de Copenhague, on a aussi beaucoup parlé de réduire le nombre d’enfants. Une organisation aurait démontré récemment qu’on ferait mieux de promouvoir la pilule, ça coûterait beaucoup moins cher que tous les programmes d’énergie renouvelable, etc. (comme si les fortunes dépensées en Grande-Bretagne pour l’éducation sexuelle avait baissé d’un iota le nombre des adolescentes enceintes…). Mais tout ça, c’est du réchauffé de théories déjà exprimées dans les années 70. Un manuel d’écologie publiée chez Doin faisait l’apologie des augmentations d’impôts pour les familles nombreuses ; M. Cochet a encore des choses à apprendre s’il veut vraiment jouer le rôle du provocateur.

Toutes ces déclarations sont basées sur l’idée qu’une famille avec un ou deux enfants consomme forcément moins qu’une famille nombreuse, avec disons six enfants. Un journaliste du Times s’est amusé à comparer l’empreinte carbone de deux familles types.
Voici le résumé (source):
Les Watsons : Andrew, un acteur et écrivain; Zoé, un médecin généraliste. Un enfant : Polly, 2 ans
Maison : Cinq pièces au sud de Londres
Quatre jours d'ordures : un seul sac. La famille recycle tout ce qui est possible et fait du compost
Lave-linge : deux fois par semaine
Voitures : deux, dont une hybride
Voyages en avion : Un ou deux par an (ils compensent le carbone)
L'empreinte de carbone par an : 9,8 tonnes pour trois personnes soit 3,3 tonnes par personne

Les Braziers : Colin, présentateur de télévision, et Jo, mère au foyer. Six enfants : Edith, 10 ans ; Agnes, 6 ans; Constance, 5 ans ; Gwendolyn, 3 ans ; Kitty 1 an ; John, trois mois.
Maison : Six pièces dans le Hampshire
Quatre jours d’ordures : deux sacs. Le reste est recyclé
Lave-linge : une fois par jour
Voitures : Deux dont un monospace
Voyages en avion : Pas depuis 2005.
L'empreinte de carbone par an : 10,1 tonnes pour huit personnes soit 1,3 tonne par personne

Bref, on se fait une idée bien fausse de ce que consomme une famille nombreuse. J’ajouterai des remarques très simples : une famille nombreuse implique souvent une mère au foyer et donc un seul salaire. Comment pourrait on consommer plus avec moins d’argent ? M. Cochet n’a pas encore donné la clé de ce mystère… D’autre part, si les empreintes carbone de ces deux familles sont similaires, cela signifie que la famille avec un enfant consomme beaucoup plus par personne que la famille nombreuse, près de trois fois plus ! On fait donc de l’enfant unique un futur consommateur acharné, quand les autres auront appris à se limiter et à restreindre leur consommation. Si je prends directement exemple sur une famille nombreuse que je connais bien, son bilan carbone est certainement largement inférieur à celui des familles qui l’entourent : une seule voiture contre deux, pas de télévision ni de console de jeux contre au moins deux télévisions et souvent deux consoles de jeux, vêtements servant à plusieurs enfants et portés jusqu’à la rupture contre vêtements portés de temps en temps puis oubliés au fond d’un placard, un ordinateur de huit ans d’âge contre de beaucoup plus récents, chauffage au minimum et on met un pull, contre maisons surchauffés, jamais de vacances ailleurs que dans la famille - donc pas d’avion - contre départs en vacances plusieurs fois par an, premier téléphone portable acheté en 2007 et toujours en service, lave-vaisselle acheté avec l’arrivée du cinquième enfant (pour être honnête, il était temps ! Sans compter que le bilan carbone de la vaisselle faite à la main n’est pas forcément meilleur que celui d’un lave-vaisselle) etc. Dois-je continuer ?

Nombre d’enfants ou nombre de familles ?
On me répondra que trois ou quatre générations plus loin, le nombre de personne sera resté stable avec des familles à deux enfants mais aura explosé avec des familles nombreuses. C’est vrai, mais moins qu’on le pense. Dans une famille de six enfants, il n’arrive pour ainsi dire jamais qu’il y ait 36 petits enfants : certains n’ont pas d’enfants, d’autres en ont moins que leurs parents, etc. De sorte que l’augmentation n’est finalement pas aussi impressionnante que ne voudrait le faire croire les avocats de la famille de deux enfants. D’autre part, c’est en nombre de familles qu’il faut raisonner et non en nombre de personnes puisqu’une famille nombreuse ne consomme pas plus, voire moins, qu’un famille avec un ou deux enfants.

Une question de comportement
Enfin, dans un cas on aura des personnes habituées à consommer énormément grâce à des revenus qui permettent de satisfaire tous les caprices. Je ne veux pas accabler la pauvre Cécile Duflot, mais on ne fait la leçon à la terre entière quand on passe Noël aux Maldives… Dans l’autre cas, des gens habitués à faire avec les moyens du bord, à se débrouiller, à ne pas penser que la joie et la bonne humeur nécessitent toujours plus de véhicules, de gadgets électroniques ou de vacances à l’autre bout du monde. C’est une question de comportement, et ça ne s’apprend pas dans le cadre d’une petite famille avec beaucoup de moyens. Je souhaite bien du plaisir aux avocats de la décroissance. Ils ont raison sur le fond, mais c’est presque impossible à mettre en œuvre quand on a des revenus largement supérieurs aux besoins réels. Chez nous, la décroissance se vit à chaque nouvelle naissance.

Et les retraites ?
Enfin, avec un système de retraite par répartition, il faut des enfants. Les trop rares familles nombreuses en France ne suffisent pas à assurer le renouvellement des générations, même si on s’en rapproche. Donc je me demande bien qui va payer les retraites dans vingt ou trente ans. L’immigration ? Comme s’ils venaient en France pour payer les retraites des p’tits blancs qui ne veulent plus avoir d’enfants… (cette idée, je l'ai piquée à mon frère ; je lui dois bien une reconnaissance officielle). Autre solution : la retraite par capitalisation. Outre qu’avec la récente et toujours actuelle crise mondiale, ce modèle a du plomb dans l’aile, il serait assez savoureux qu’au nom de l’écologie on devienne capitaliste. Je ne prétends pas résoudre le problème des retraites, je constate juste que plusieurs personnes m’ont déjà fait la remarque que mes enfants payeront leur retraite. À leur place, je n’en serais pas si sûr…

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Encore une bien bonne analyse étayée par une documentation qui bizarrement échappe à nos chers médias.

Merci

VD de Bordeaux

Oli07 a dit…

D'accord à 10 000%.
Il faudrait aussi compter l'impact des familles nombreuses sur les comportements: ... consommation raisonnée, moins le goût du gadget, moins sensible aux attraits de la société de consommation (tout jetable, toujours acheter le dernières nouveautés etc...), transmission de valeurs, de manières de vivre... redécouvrir les joies simples de la vie en famille.
Encore merci pour cet article.

Albert Barrois a dit…

Merci pour ces deux commentaires. Au fait, monsieur VD, bienvenue dans grande famille des familles nombreuses... Et Oli07, vous avez sans conteste la palme pour les commentaires les plus encourageants !

Agricola a dit…

Ce papier me met en joie: nous venons d 'accueillir un petit 8è, et parmi nos meilleurs amis ,il y a deux familles de 9 enfants (sans triomphalisme, je peux vous l'assurer).Je confirme aussi :la décroissance, nous connaissons, mieux nous pratiquons sans en faire une obligation pour le voisin...et pour les retraites, ça va sans dire, je contresigne ! (mais ça va encore mieux en le disant ;)

Anonyme a dit…

Votre analyse est intéressante et documentée ce qui la rend difficilement contestable. Et c'est bien là qu'est le problème !

Imaginez en effet que Monsieur Cochet lise votre blog. Il est à craindre qu'il ne pousse alors le raisonnement jusqu'au bout et en déduise qu'une famille avec deux enfants, mais une famille fauchée quand même, polluera encore moins.

A votre place, je ne parierai pas que ce brave Monsieur Cochet - qui ose tout et appartient conséquemment à cette catégorie de gens par là-même identifiables -, je ne parierai pas, donc, que Monsieur Cochet ne trouve là un défi à la mesure de ses incomparables talents susdécrits...

Anonyme a dit…

Une petite précision pour les amateurs de recherche bibliographique.
L'ouvrage mentionné par Albert Barrois a été publié en 1974 chez Doin, Deren et Cie, sous le titre : La synthèse écologiste: populations, communautés, ecosystèmes, biosphère, noosphères.
Pour avoir travaillé sur cet ouvrage, que malheureusement je n'ai plus, je suis en mesure de confirmer l'affirmation à propos de la surimposition des familles nombreuses. M. Duvignaud en proposait d'ailleurs bien d'autres de la même farine.
On peut consulter ce livre à :
Réseau des Bibliothèques Inra-Montpellier SupAgro
Campus de la Gaillarde 2 place Pierre Viala
34060 MONTPELLIER cedex2
France

Courage, cher Albert Barrois, on vous lit (même si les intéressés ne sont pas toujours à la hauteur en matière de connaissance scientifiques).