jeudi 11 décembre 2008

Pourquoi la recherche sur les cellules souches embryonnaires ?

La question revient sans cesse dans le petit monde des journalistes, blogueurs et spécialistes de bioéthique du monde chrétien : pourquoi certains scientifiques s’entêtent-ils à vouloir travailler sur les cellules souches embryonnaires (CSE) ?
Afin de répondre à cette question, je vais m’appuyer sur une correspondance parue dans la revue Cell Stem Cell le 1er octobre 2007. Elle est signée par des noms prestigieux de la recherche sur les cellules iPS ou les CSE : Hyun, Hochedlinger, Jaenisch et Yamanaka (oui, LE Yamanaka, « proche du Vatican » comme le présente le Salon Beige). Et le titre de cet article ? « New advances in iPS cell research do not obviate the need for human embryonic stem cells ». Pour les curieux, le texte original est en ligne ici.

Les auteurs commencent par résumer les avancées sur les cellules iPS (rappel : l’article date de fin 2007). Mais ils préviennent rapidement : ce serait une grave d’erreur de conclure que les CSE humaines sont devenues inutiles. Ils voient à cela quatre raisons.

1) Les cellules iPS sont trop récentes pour qu’on mise tout sur elles. De plus leur capacité à induire des tumeurs est élevée du fait de l’utilisation de l’oncogène c-Myc lors de leur reprogrammation. Par ailleurs l’utilisation de retrovirus pour introduire les gènes nécessaires à la reprogrammation induit des mutations car l’ADN s’intègre au génome. Il faudra sans doute des années avant de contrôler tout ça alors que les CSE sont disponibles.
Tout ça ne tient plus aujourd’hui : on peut faire de la reprogrammation sans c-Myc, et sans retrovirus, donc sans intégration dans le génome.
2) Les études sur les cellules iPS sont pour le moment restreintes aux souris. Et certains transferts de résultats entre le souris et l’homme ont pris plus de 15 ans, donc la prudence indique qu’il faut continuer la recherche sur les CSE.
À nouveau ils se sont trompés : le transfert a pris moins de deux ans.
3) Si par extraordinaire des cellules iPS humaines étaient finalement obtenues, il faudrait toujours une référence, les CSE étant le seul contrôle disponible pour démontrer que les cellules iPS sont effectivement identiques aux CSE.
On peut leur accorder demi-point. Il est vrai que rien ne remplacera les CSE comme contrôle. Cependant, la simple démonstration que les cellules iPS peuvent se différencier en n’importe quel tissu devrait suffire à établir leur multipotence.
4) Pour observer le début du développement embryonnaire humain, les CSE seront toujours meilleures que les cellules iPS.
Dans l’absolu c’est vrai. D’ailleurs, une cellule iPS qui serait totipotente pourrait donner un être humain tout comme celles issues de fécondation in vitro ou de clonage thérapeutique. Mais pour ce qui est de l'étude du développement précoce, la fécondation in vitro répond à la question (quoiqu'on en pense par ailleurs). Quant aux processus de différenciation, les cellules iPS sont sans doute aussi bien placées.
Leur conclusion : « Donc nous maintenons que la recherche sur les cellules souches humaines est nécessaire dans toutes les directions ». Et l’un des auteurs, qui n’est autre que Yamanaka, s’inspira d’un travail réalisé sur les CSE pour imaginer la reprogrammation de cellules différenciées.
Il est difficile de contredire Yamanaka sur ce point, mais ces travaux auraient tout aussi bien pu trouver leur source dans des recherches sur les CSE de souris.

Pour conclure, sur les quatre points qui étaient légitimes il y a un an (je parle du strict point de vue scientifique, pas éthique), il en reste un demi. Entre temps nombreux sont ceux qui ont décidé d’abandonner la recherche sur les CSE humaines. Citons bien sûr Ian Wilmut, le père de Dolly, mais aussi Martin Evans, prix Nobel britannique 2007 et pionnier de la recherche sur les cellules souches, qui déclare à propos des cellules iPS : « This is the long term solution » (Source). Pendant ce temps, le clonage thérapeutique marche très mal chez les Primates : il a fallu 304 oocytes de 14 singes pour produire deux lignées de cellules souches embryonnaires, dont une avait des anomalies chromosomiques. Et aucune implantation dans une femelle n’a permis d’obtenir un bébé singe malgré 77 tentatives (source).

J’attends la prochaine correspondance sur la nécessité de la recherche sur les CSE humaines. Au rythme où vont les choses, il va bientôt être très compliqué de trouver des arguments sérieux. Il restera toujours cependant le « on ne peut pas fermer une voie prometteuse ». Toute la question est de savoir si elle est toujours prometteuse…

Aucun commentaire: